Depuis, un certain temps je réfléchis à la façon de faire passer quelques messages essentiels à mes amis de gauche… L’un portant sur les bases idéologiques faussées à partir desquelles la gauche réfléchit aux problèmes et "propose" des solutions, l’autre pour leur montrer que le monde n’est pas tel qu’ils pensent qu’il est ou qu’il pourrait être…
Tout d'abord, une petite mise au point s’impose. Je me sens toujours en total accord avec tous les objectifs qui ont guidé et nourri tout mon parcourt depuis tout petit.
Je partage, plus que jamais, toutes les valeurs humanistes de la gauche et tous les objectifs de justice sociale, de solidarité, d'égalité, de fraternité, de liberté et de partage des richesses. D'ailleurs, je n'ai pas fait que revendiquer dans ma vie (et même, je dois dire que cette façon de fonctionner est assez éloignée de comment j'ai vécu et vis toujours mes responsabilités de citoyen) ; très tôt, j'ai expérimenté et vécu pendant 25 ans des expériences sociales "différentes".
J'ai commencé par vivre en communauté, puis à produire dans des entreprises autogérées, puis à en diriger en codirection, et également à en conseiller... Si aujourd'hui, je me suis un peu éloigné de cette mouvance, c'est juste le temps de panser mes blessures et mes déceptions, car toutes ces expériences se sont soldées par des échecs, des gâchis humains et amicaux, dont les procès, pour certains toujours en cours, perdurent, avec leur lot de sentiments amers, d'occasions perdues et de rendez-vous manqués…
Depuis quelques années maintenant, je fais un boulot totalement alimentaire de dirigeant d'entreprise et, tout en essayant de faire le maximum pour les salariés, je n'essaye plus de changer qui que ce soit, sauf, peut-être, les dirigeants/actionnaires qu'il y a au-dessus de moi…
Où est le problème me direz-vous ? Et bien, c'est qu'avec le recul que me donnent ces 25 années d'expériences de gestions sociales différentes, je ne me suis jamais senti, autant en désaccord sur les moyens préconisés par une grande partie de la gauche pour arriver à "révolutionner" cette société...
Pour l'anecdote, récemment, j'ai été sur un forum de sympathisants communistes où était diffusée une "brillante analyse", censée nous expliquer les échecs des gauches… J'ai essayé d'apporter une ouverture à leur réflexion, notamment en leur demandant si leur vision du monde ne gagnerait pas à être complétée par des concepts tels que ceux développés par Vincent de Gaulejac dans "la lutte des places" ou ceux de l'analyse systémique... et je me suis même retenu de parler de la dialectique situationniste… j'ai fait dans le soft quoi…
Pour autant, les réactions sont assez étonnantes et même hostiles, c'est comme discuter avec des intégristes... On peut parler de tout tant qu'on ne touche pas à leur croyance centrale d'un monde qui s'expliquerait uniquement à travers le prisme de la sacro-sainte "lutte des classes"... et malheureusement pour leur compréhension du monde et des problèmes, c'est justement ce point de vue unique qui ne va pas...
C'est justement celui-là qui empêche une certaine gauche de présenter des propositions qui ne nous conduiraient pas directement à faire que l'histoire se répète, avec tout son cortège d'horreurs, d'inefficacités et d'irréalités...
C'est également celui-là qui empêche cette gauche-là de pouvoir imaginer que pour arriver à nos buts, les chemins à suivre ne peuvent pas être ceux du diagnostic, sous peine d'aggraver ou de déplacer les problèmes...
Autant vous le dire, mon post n'est pas resté longtemps sur ce site, au bout de 2 jours, il a disparu : il a purement et simplement été… censuré… Incroyable, non ? Pour des gens qui essayent depuis 30 ans de se démarquer de leurs tentations staliniennes... et de nous faire croire qu'ils ne reproduiront pas ce qui s'est passé dans tous les pays qui ont expérimenté ou qui sont encore sous régime communiste. Bien entendu, tous ces "vrais" communistes français vous diront toujours que toutes ces expériences sont des perversions du communisme et qu'ils ne feront jamais les mêmes erreurs... C'est sûr, ... il n'y a qu'à discuter avec eux ou à lire leur programme pour comprendre assez vite que c'est du blabla de façade, à peu près aussi sincère que quand Le Pen veut nous faire croire qu'il n'est pas raciste...
Mais bon, à leur décharge, je crois également que c'est extrêmement pratique pour ceux qui y "croient" encore, pour ne pas essayer de comprendre la vraie nature des humains et le fait que les relations socio-économiques sont quelque peu plus complexes à analyser que les explications données par leur vision réductrice.
C'est donc, parce que j'essaye d'ouvrir leur esprit, que je suis devenu un social-traître à leurs yeux… j'en rirais presque, si je ne me sentais pas blessé dans mes convictions les plus profondes et parce que mes actes ont toujours été conformes à ce que je pense, contrairement à beaucoup de revendicateurs professionnels ou d'élus de gauche, qui arrivent très bien à vivre dans l'incohérence la plus totale, entre leurs idées et leurs actes… mais, j'y reviendrai plus tard.
Alors, continuons les mises au point…
À propos du partage des richesses…
Voilà ce qu'on peut lire sur la plupart des sites militants de gauche sous une forme ou une autre :
● Les 225 personnes les plus riches du monde cumulent un patrimoine global de 1 000 milliards de dollars, l'équivalent du revenu annuel des 3 milliards de personnes les plus pauvres de la planète, soit 47% de la population mondiale. La fortune additionnée des 84 personnes les plus riches dépasse le produit intérieur brut de la Chine avec ses 1,2 milliard d'habitants.
● En 2002, 20% de la population mondiale accapare 80% des richesses, possède plus de 80% des voitures en circulation et consomme 60% de l'énergie, tandis que le milliard d'habitants les plus pauvres se partagent 1% du revenu mondial.
Oui, c'est totalement vrai, terrible, inique et affreux, mais reprenons les comptes à partir d'un petit tableau récapitulatif et explicatif :
NB : tous ces chiffres (2003) divergent selon les sources, mais leurs ordres de grandeur restent équivalents… | | | |
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ÉCONOMIE MONDIALE | En dollars $ | En euros € | En francs FF |
PIB mondial (en dehors des considérations de PPA : pouvoir d'achat "réel" donné par les artifices monétaires) | 36 300 000 000 000 | 27 217 377 000 000 | 178 534 289 647 890 |
Montant des transactions financières | 699 000 000 000 000 | 524 103 210 000 000 | 3 437 891 693 219 700 |
Total des patrimoines des 225 plus riches | 1 000 000 000 000 | 749 790 000 000 | 4 918 299 990 300 |
Nombre d'habitants | 6 500 000 000 | 6 500 000 000 | 6 500 000 000 |
Revenus annuels du monde divisés entre tous les habitants de la terre | 5 585 | 4 187 | 27 467 |
Patrimoine des plus riches divisé ente tous les habitants de la terre | 154 | 115 | 757 |
Patrimoine des plus riches divisé ente les 3 milliards qui n'ont rien ou pas grand-chose | 333 | 250 | 1 639 |
Rapport multiplicateur entre le PIB et les transactions financières | 19 | 19 | 19 |
Croissance mondiale moyenne de ces dernières années | 4% | 4% | 4% |
Montant annuel du SMIC français à compter du 07/2006 | 20 074 | 15 051 | 98 730 |
Sans incidence de l'inflation, nombre d'années nécessaires pour que chaque habitant de la terre bénéficie au minimum du SMIC français, avec le taux de croissance moyen mondial actuel | 33 | 33 | 33 |
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ÉCONOMIE FRANÇAISE (pour mémoire qui se situe encore à la 15e place dans le monde pour le PIB/habitant et à la 5e pour PPA total) | En dollars $ | En euros € | En francs FF |
Montant du PIB par habitant | 33 015 | 24 754 | 162 378 |
Bien sûr, tous ces chiffres sont contestables et notamment la notion de PIB (ce que je fais d'ailleurs dans un de mes articles "B – 2 - Economie et fiscalité début") qui ne tient pas compte, entre autres, du patrimoine net du pays, ni de beaucoup d'autres facteurs de richesses non économiques. Mais quand même, c'est assez frappant de se rendre compte, quand on pousse, jusqu'au bout, la logique de partage des richesses, avant même de parler des obstacles humains et institutionnels, qu'on aboutit à des impasses économiques :
● Même en partageant toutes les fortunes des 225 personnes les plus riches du monde, ça ne donnera pas beaucoup plus (333 $, soit 250 € ou 1 639 FF) aux 3 milliards d'humains qui n’ont rien ou pas grand-chose… et après avoir reçu cet argent, ils font quoi ? Ils vivent de leurs rentes ?
● Même en partageant toute la production équitablement et égalitairement, la terre ne produit pas assez de valeurs pour tout le monde et il faudra 33 ans à notre rythme de croissance actuel pour que tous ses habitants arrivent au seul niveau de notre SMIC actuel français…
Vraiment pas de quoi se réjouir, ni de faire péter un bouchon de champagne…
C'est ça, les réalités qui ne sont jamais dites, dans ce "beau discours" sur le partage des richesses !
On peut toujours tergiverser et relativiser en me répondant que les besoins d'un indien d'Amazonie ou d'un Bushiman ne sont pas les mêmes que les nôtres… bien sûr, mais leurs aspirations à la santé, à l'éducation et à la satisfaction de leurs besoins vitaux élémentaires, restent entières…
Alors, dans ces conditions, en restreignant vos besoins à 28 % du SMIC et en partageant avec les autres tous ce que vous possédez, vous êtes toujours pour le partage des richesses produites et des patrimoines ?
Quelqu'un peut-il encore soutenir qu'en divisant les revenus, en collectivisant les richesses ou en taxant les plus riches, nous apporterons une solution à la misère ?
Je doute que l'humanité de tous les gens de gauche aille jusqu'à accepter de vivre avec 28 % du SMIC… Mais bon, je peux me tromper…
Non, les vraies questions, problèmes et défis sont :
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Comment fait-on pour créer suffisamment de revenus et de richesses pour permettre à tous de vivre d'une façon décente ? Faut-il rappeler également : en plus sans bousiller un peu plus la planète et sans condamner les générations futures à vivre avec des masques à gaz ou/et des protections permanentes anti-UV…
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Comment fait-on pour empêcher que pour 1 dollar produit, celui-ci ne génère pas, actuellement (car, ça va en augmentant) 19 fois sa valeur en flux financiers totalement improductifs sur le plan des valeurs consommables, tout en conservant le libre-échange et les ressources de financements, facteurs de croissance universels, s'il en est ? Ou autrement dit, comment on fait pour garder les "indispensables fonctions" occupées par les spéculateurs dans le développement économique mondial, tout en supprimant les conséquences que l'on connaît, sur les transferts des misères, l'inflation, la ruine de certains pays, la menace permanente de crash économique mondial, les guerres directes ou économiques, le saccage et les luttes à mort pour l'accès aux matières premières,… et la casse des emplois occidentaux pour maintenir les valeurs boursières à un niveau qui continue à rapporter des revenus aux détenteurs de capitaux…
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Notre modèle occidental de "prospérité" économique est-il exportable dans tous les pays ? Quel sens cela a-t-il de s'imaginer ou de vouloir que tous les habitants de la terre rejoignent notre niveau de consommation ? Ne sommes-nous pas dans une illusion totale en nous imaginant que la terre, tout entière, pourrait supporter notre niveau de consommation occidental, sans que nous en mourions tous ?…
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Et enfin : existe-t-il un modèle de développement économique autre que celui des pays à économie libérale qui permette une augmentation accélérée ou quasi constante, des richesses disponibles ? A l'aune des choix de libéralisation sauvage et totalement barbare, faits dans les ex pays communistes et par la Chine, pour régler leurs problèmes de famine endémique et de misère généralisée, on peut raisonnablement en douter… Mais, si quelqu'un a des solutions non expérimentées que je ne connaîtrais pas et qui n'auraient pas encore fait leurs preuves, je suis preneur.
Sur ce dernier point, soyons clair, je ne dis pas que le modèle d'organisation économique libéral est idéal et qu'il n'a pas besoin d'être régulé, transformé, moralisé et même parfois nationalisé, au contraire !!!... Mes 400 propositions témoignent, d'ailleurs, que je veux vraiment tout changer…
Cependant, à l'issue de ces constats, je remarque simplement que toutes les expériences de gestion collectiviste ou planifiée, non seulement ont été des échecs retentissants pour le développement économique, mais qu'en plus, elles se sont, en partie, fondées sur des croyances erronées concernant le partage des richesses et la "meilleure" (ou la plus efficace) façon de les produire ; sans même rappeler le lot d'horreurs en terme de privation de libertés et de démocratie, de trahisons, de corruptions, de misères, d'ostracisme, de guerres, d'assassinats et de génocides que toutes ces formes de société ont engendrés… Un peu, comme je l'ai vécu, à un moindre niveau, dans mes entreprises autogérées…
J'imagine sans peine que ceux qui y croient encore, vont me répéter que ces expériences ont été perverties, qu'elles ne sont pas représentatives du "vrai" communisme ou socialisme ; que c'est la faute à l'environnement international, … et que jamais eux ne répéteront les mêmes erreurs… C'est bien de croire que nous pourrions être meilleurs, moins inhumains et moins cons que ceux qui ont tenté ces expériences… Mais, personnellement, je ne le pense pas, car, là encore, la réalité des humains se heurte à quelques limites inhérentes à ce que nous sommes tous ; à part, quelques "saints" qui n'ont pas plus réussi, au final, à changer le monde ou leur pays… ce qui me conduit tout naturellement à passer au chapitre suivant…