Je dois vous avouer une chose : la façon dont les électeurs manifestent leurs préférences politiques reste un mystère pour moi. D’ailleurs, je vous ai déjà fait partager mes incompréhensions et mes doutes sur ce blog : ici, quasiment dès la création de ce blog, mais aussi partout, où je dénonce les convictions fondées sur des croyances... C’est un fil conducteur de ce blog : arrêter de croire, voir ce qu’il y a à voir, aussi désagréable soit-il, et affronter le réel, pas des fantasmes... Pour paraphraser je ne sais pas qui, croire n’est pas savoir, et le doute est indissociable du savoir...
Pour essayer de percer le mystère des « croyances », j’ai continué à explorer de nombreux ouvrages politiques, sociologiques, ethnologiques, psychologiques, religieux, ... ; espérant probablement que je trouverais une « explication ultime » à l’impossibilité de convaincre qui que ce soit avec des « arguments rationnels ».
Aussi loin que je me souvienne de mes pensées, de mes lectures et de mes actes, j’ai toujours été passionné par ce sujet : comment convaincre ? Ou plus précisément, par quel processus rhétorique peut-on convaincre quelqu’un qui fonde sa pensée sur ce qu’il croit et ce qu’il sent ? Ce sujet m’a tellement passionné que dans mes jeunes années, j’allais même faire de l’entrisme dans les cellules du PCF et chez les témoins de Jéhovah, pour comprendre comment ils réfléchissent et m’essayer à les « retourner »...
Cependant, ce furent des échecs comme mes lectures d’ailleurs qui ne me conduisent à penser qu’une chose : rien n’est réductible, dans le domaine des croyances, à des explications généralisables. Rien ne permet de comprendre et de modifier ces états de fait : personne ne réfléchit et ne fonde ses choix de la même façon ; et personne ne peut convaincre personne rationnellement (ce qui tendrait à prouver qu’irrationnellement, c’est possible). Reich nous l’expliquait déjà dans « Psychologie de masse du fascisme » (1933) : les processus par lesquels quelqu’un décide d’adopter telle ou telle position politique, n’ont rien à voir avec son statut social et économique, mais bien avec sa structure psychologique...
« Bizarrement », il est bien plus facile par la rhétorique de manipuler et de pousser l’humain à s’abandonner à ses penchants les plus bas, plutôt que de lui demander de s’élever et d’adopter des ambitions humanistes... À part Jésus, Gandhi et Mandela, je ne vois pas d’autres exemples politiques dans l’histoire de l’humanité de leaders qui aient suscité une adhésion de masse à partir de concepts aussi désuets que la paix, l’amour, la tolérance, la compassion, la fraternité, ... et tous ces « trucs idiots et si inutiles », dont on n’entend plus parler nulle part, sauf dans les homélies, les sermons et les prêches qui ne franchissent jamais le seuil des églises pour se matérialiser dans le « vrai monde » (et ce, quelque soit leur confession)...
Toujours à la recherche de réponses, dernièrement, j’ai lu un ouvrage passionnant : « Et l’homme créa les dieux » ; de Pascal Boyer (Robert Laffont, collection Folio essais), que m’a conseillé Michel, un ami et compagnon de pensée de ce blog. Un ouvrage étonnant, qui à partir des savoirs ethnologiques, explore et démonte toutes les théories qui ont été formulées pour expliquer les religions et les croyances en général.
J’ai vraiment apprécié comment Boyer montre notamment que les théories fonctionnalistes, constructivistes et structuralistes, deviennent des tautologies quand on les pousse dans les retranchements de leurs explications. Je ne vais pas pouvoir vous faire une fiche de lecture, parce que précisément ce qui est passionnant dans cet ouvrage, c’est de suivre le fil de sa pensée et la façon dont il « démonte » les théories sur les croyances en démontrant en fait que ce sont elles-mêmes des croyances ; parce qu’en réalité les « processus cognitifs et les systèmes d’inférence » surdéterminent nos réactions, comme autant d’adaptations évolutionnistes à l’incompréhensible. De plus, les nombreux exemples qu’il rapporte sur les cultes sont signifiants en eux-mêmes et ne peuvent se résumer.
Non accessoirement, rien ne m’a paru plus étonnant que de découvrir qu’il y a beaucoup d’humains qui savent très bien que ce en quoi ils croient n’existe pas (!!!), et pour autant ils continuent à y croire, et à suivre les rites et lois afférents à ces croyances... Une vraie découverte pour mon esprit rationaliste , qui au fond n’aurait pas dû tant que ça me surprendre, puisque ces processus n’ont rien de différent de ceux que l’on rencontre dans les (nos) névroses et les psychoses, avec leurs répétitions stériles irrationnelles et inadaptées... mais tout également dans les choix et débats politiques, où trop souvent on peut se demander si on parle la même langue et si on vit dans le même monde...
Il est probable que ma conformation psychologique me laissera encore longtemps éloigner de la compréhension de comment on peut vivre avec tant d’incohérences, puisque la moindre contradiction déclenche immédiatement en moi de l’angoisse, donc j’ai du mal à comprendre comment ça fonctionne, sans problèmes apparents, chez les autres... Un simple exemple sociologique : combien vont à l’Église et votent FN en totale opposition aux lois et préceptes chrétiens ; combien de communes rurales votent massivement à droite, alors qu’elles n’ont jamais vu un émigré, alors même qu’à Montreuil, où 80 % de la population est d’origine étrangère, le total des gauches fait 70 % des voix !... Mais, comptez sur moi pour vous asséner un article dès que je comprendrais vraiment quelque chose à ces « moi divisés » (« Le moi divisé », un excellent ouvrage de R.D. Laing)...
Cependant, si vous cherchez (comme moi) une explication ultime dans cet ouvrage, les conclusions de Boyer vous apparaîtront plutôt décevantes. Vous ne serez pas satisfait par ses déductions, car il reprend en fait, sans les nommer, les thèses mémétiques. Je suis donc resté sur ma faim avec ses « systèmes d’inférences » et ses multiples « processus cognitifs » qui aboutissent à une vision probabiliste et darwinienne du fait religieux. Ou pour prendre une image plus triviale : tout est dans tout, tout est possible (ou presque) et il y a tellement de facteurs déterminants en jeu, qui se sont constitués au gré de l’évolution, qu’expliquer pourquoi on croit, ou pas, reviendrait à essayer de prévoir, sur quelle face va tomber un dé constitué de 1000 côtés qui a déjà été lancé un milliard de fois... frustrant, non ? Mais sûrement très juste dans l’état actuel de nos connaissances... du moins, si on passe sous silence les grands absents conceptuels des thèses de cet ouvrage. En fait, Boyer fait totalement l’impasse sur les théories psychanalytiques (le pluriel, c’est exprès), toutes celles qui expliquent comment son inconscient surdétermine un individu (vous remarquerez au passage, que je ne dis pas que « l’inconscient surdétermine les individus », parce que cette proposition est fausse)...
Problème, en aucune façon les thèses psychanalytiques ne sont en mesure de donner autre chose qu’une explication individuelle... à un individu. Non accessoirement, cela implique que les psychanalystes qui analysent « la société » sont, en conséquence, de vrais charlatans. On ne peut pas réduire un groupe à un inconscient commun, c’est tout simplement impossible et contraire à l’essence même de l’individuation à laquelle aboutit généralement une psychanalyse « réussie ».
Pourtant, ça n’a pas empêché certains analystes d’élaborer des théories universalistes qui ont (à juste titre) donné une image de secte à cette discipline et tant nui à sa compréhension par le grand public. D’ailleurs, l’expérience humaine le confirme et le démontre rapidement, les « équations mathématiques » de Lacan (et avant lui des structuralistes qui pensent que nous sommes surdéterminés par des structures sociétales inconscientes universelles), pour définir des invariants de la pensée, sont une foutaise... pire ce postulat relève lui-même d’une croyance religieuse qui a fait autant de mal chez les intellectuels français que toutes les religions ont pu en faire sur les peuples ; nous faisant prendre notamment, 30 ans de retard sur les méthodes psychothérapeutiques anglo-saxonnes...
Autant les psychanalyses sont capables de reconnaître les processus en jeu, comme étant autant de manifestations névrotiques et/ou psychotiques et/ou perverses, autant elles ne peuvent pas généraliser une explication des raisons qui poussent ces phénomènes à se manifester dans un groupe social tout entier. Ou autrement dit, elles peuvent reconnaître, par exemple, un « mécanisme défensif » et/ou de « compensation », mais en aucune manière elles ne pourront généraliser une interprétation pour tout un groupe, du pourquoi ce phénomène est apparu... Nous avons été 55 % à dire « non » au TCE en 2005, mais à l’évidence pas pour les mêmes raisons, et pareil pour le « oui » bien évidemment...
Pour prendre un autre exemple concret, si une personne est persuadée que Sarkozy est un « honnête homme » (ce qui relève totalement d’une croyance, rien qu’en faisant une liste de ses mensonges), on pourrait certainement à force d’investigations psychiques (avec le consentement et la collaboration de l’individu, bien sûr), très probablement comprendre avec cette personne pourquoi son histoire familiale, ses fantasmes, ses origines, ses traumas, ses influences, et cetera, déterminent sa croyance, au point de le rendre incapable de mettre les actes et les réalités en face des discours... mais en aucune manière cette explication valable pour cette personne-là, ne pourra s’appliquer telle quelle aux 27,18 % de bulletins exprimés qui ont voté, malgré tout, pour lui... Le pire étant probablement que beaucoup votent pour lui en sachant qu’il est malhonnête et sans être dupe de rien !...
Pourquoi, je vous raconte tout ça ?... Pour rien, pour tout, parce que je suis inquiet de constater que dans ce pays, les croyances ont encore de « beaux jours » devant elles... Il n’était pas bien difficile de vous annoncer dans cet article la « surenchère des menteurs » du côté des candidats, cependant j’avais quelque peu oublié la surenchère des illusions et des croyances parmi les électeurs... surtout quand je prends connaissance de l’actualité qui nous occupe : la « victoire annoncée » de Hollande...
Si on analyse, les résultats que vous avez eus partout, cela donne ceci :
Dans cet article du Monde, il est très intéressant de noter qu’en fonction dont on analyse les reports de voix et les abstentions du second tour, BVA donne Hollande gagnant avec 54 % des voix, et IPSOS, Sarkozy gagnant avec 54 % des voix !!!
La seule chose qui est sûre et qui est une constante dans notre Vième République, c’est qu’à l’exception de 1981, le cumul des voix de droite a toujours été majoritaire ! Et que si on se réfère à ce qui s’est passé dans l’histoire de nos présidentielles, il est impossible que Hollande puisse mécaniquement gagner en partant de 43,76 % de voix exprimées à gauche...
Les facteurs cumulatifs qui feront pencher la balance dans un sens ou un autre sont tellement nombreux - attitude de Bayrou et Le Pen, débat télévisé, droitisation exacerbée de Sarkozy, absence de testostérone de Hollande, taux d’abstention, et cetera - que j’admire vraiment ceux qui affirment que Hollande peut déjà constituer son gouvernement...
Tout cela me stupéfie, les convictions des uns et des autres à penser ce qu’ils pensent et à croire ce qu’ils croient... comme si les jeux étaient faits, comme si les résultats de ce premier tour n’avaient pas démontré, encore une fois, que la part de l’irrationnel constitue le plus important dénominateur commun des électeurs.
C’est notre système présidentiel qui veut ça, l’image exacte de l’échec de notre « démocratie » moribonde... L’image exacte de ce besoin irrépressible de « créer des dieux » pour nous guider, et le constat est cruel : nous en sommes toujours au niveau le plus primitif de l’organisation et des déterminismes humains... C’est quoi ce système qui nous oblige à donner tous les pouvoirs à un seul ? Le niveau zéro de l’évolution humaine, celle qui nous reconduit invariablement à penser que des forces supérieures décident de tout pour nous et notre destinée... Un système régressif dans lequel pourra s’exprimer et s'épanouir le niveau le plus bas du plus bas niveau du système cognitif humain : celui qui fait croire à l’enfant que ses parents ont tout pouvoir sur tout ; soit, au final, un mécanisme aucunement différent de celui qui fait croire aux Fangs « que les sorciers ont un organe interne en forme d’animal, qui s’envole la nuit pour détruire les récoltes des gens ou empoisonner leur sang. »
On n’est pas sorti de l’auberge, « tout simplement » parce que ce système présidentiel nous ramène toujours vers le plus bas niveau de notre système cognitif et émotionnel... Aucune surprise donc, à ce que la droite et toute sa mythologie de « l’homme providentiel » et de « l’enfer, c’est les autres », ait encore de beaux jours devant elle... On finira bien par avoir, un jour, une coalition UMP/FN au gouvernement, ça ne fait aucun doute pour moi... c’est donc une croyance, du moins je l’espère...
À ma grande honte, j’ai cependant « voté utile » pour Hollande, dès le premier tour, alors même que je ne crois en rien, ni en personne ; et que je pense qu’aucun des candidats ne propose de solutions susceptibles de vraiment changer les choses, là où elles devraient l’être...
Je ne sais pas si mon choix est plus rationnel et soutenable que celui de ceux qui ont voté avec leurs tripes ; cependant dans ma logique du « moins pire », puisque cette démocratie nous réduit à ça, c’est tout ce que j’ai trouvé avant de tomber dans les « logiques » d’abstention qui sont tout sauf efficaces.
J’avais écrit quelque part que je voterais même pour une chèvre, si elle était contre Sarkozy au deuxième tour, sauf si elle est affiliée au FN ; et je respecterai donc mon engagement ; en espérant que la détestation rationnelle et viscérale que m’inspire ce Président-candidat sera partagée par le plus grand nombre... ce qui d’après les chiffres et les comportements irrationnels humains est tout sauf certain...
Il parait que beaucoup de riches ont décidé de faire leurs valises si Hollande passe ; pour ma part si c’est Sarkozy, je pense que je m’exilerai vraiment ou créerai la « Commune libre de Montreuil »... Il y a des limites à ma « supportation » (la mode est aux nouveaux mots) de la connerie et du masochisme...
P.-S. : je vais m’attaquer, incessamment sous peu, à la réorganisation de ce blog... donc, ça va être le bordel un certain temps... Par avance, vous m’en excuserez.