Première date de publication : 20/04/2011
Date de la dernière mise à jour : 20/04/2011
L’overdose d’informations dramatiques et en même temps parfois porteuses d’espoirs, assaille tous ceux qui essaient, tant bien que mal, de savoir ce qui se passe : en Lybie, en Syrie, au Maroc, au Yémen, en Algérie, en Jordanie, en Tunisie, en Égypte, en Israël, au Liban, en Côte d’Ivoire, au Japon, en Afghanistan, en Irak, en Inde, en Chine, en Russie,… et nous allons arrêter là cette liste (que vous pouvez compléter sur le site du quai d’Orsay ou encore sur Courrier International, uniquement si vous êtes solide ou si avez sous la main des réserves d’antidépresseurs), tant le monde semble en ébullition partout (sauf en France…), sans que personne ne sache sur quoi, tout ça va déboucher…
Pendant ce temps-là, les marchés financiers continuent leur vie d’autiste, à jouer béatement aux dés l’avenir du monde, à s’inquiéter des seuls taux de rendement et des effets sur les cours de ceux qui meurent, sans plus se préoccuper de l’Armageddon inéluctable qui leur pend au nez. À ce propos, je suis, chaque fois, furieux, quand les infos journalières sur les malheurs du monde se terminent par les cours de la Bourse, euphorique ou en baisse, … c’est tellement décalé, tellement obscène, que je manque de mots politiquement corrects pour dire tout le dégout que m’inspire ce choix « d’information »…
Aussi, étant largement dépassé par ce qui se passe dans le monde, je poursuis ma chronique sur le peuple islandais.
Si je comprends bien ce qui se passe dans ce pays, à travers la mise à plat de la notion de responsabilité, ce pourrait être une préfiguration d’une mutation fondamentale de nos démocraties.
Pour ceux qui auraient raté les premiers épisodes, une session de rattrapage, avant de lire la suite : L’Islande, oubli ou désinformation ?... La révolution, dont (presque) personne ne parle…
L’évènement actuel et ses conséquences possibles…
Le 9 avril 2011, les Islandais ont voté, pour la deuxième fois, sur le plan de remboursement de la dette (3,8 milliards d’euros, soit 12 300 euros par habitant) d’une de leurs banques, Icesave… et pour la deuxième fois le plan a été rejeté à 59,1 % des votants (93 % la première fois) !
Un vrai séisme, pour les politiques islandais et le milieu de la finance, passé, encore une fois, quasiment inaperçu.
C’est une vraie partie de poker qu’une majorité d’Islandais semble vouloir jouer, car en réalité, avec nos lois, ils n’ont aucun moyen légal de s’opposer aux remboursements de « leurs » dettes...
Pour éviter des faillites « sèches » le nouveau gouvernement avait dans l’urgence, en octobre 2009, nationalisé 3 banques en déconfiture. Mais depuis, ce même gouvernement élu, porté par un mouvement populaire sans précédent pour ce pays, se bat avec son peuple pour le ramener à la « raison » et qu’il accepte de rembourser « ses » dettes. Et la majorité répond systématiquement : « nous ne voulons pas payer pour les bêtises des autres… » ; ce qui explique, peut-être en soit, que ce simple message, d’une portée hautement subversive, soit si peu relayé dans nos grands médias, et en tout état de cause toujours traité de façon factuelle, sans jamais aborder les questions fondamentales qui pourraient fâcher.
Si on analyse les conséquences juridiques du problème, qu’est-ce qui se passe si les Islandais s’obstinent à ne pas vouloir payer ? Même d’État, les banques sont déclarées en faillite par les créanciers, principalement anglais et hollandais... et liquidées pour se rembourser avec les miettes récupérées.
Les avoirs des banques sont gelés et tous les dépositaires qui ont un compte chez elles (c'est à dire la totalité des Islandais) se retrouvent sans plus aucune liquidité, ni aucune épargne... et ne peuvent donc plus rien acheter.
Tous ceux qui devaient de l'argent dans ces banques sont sommés de payer ce qu'ils doivent... avec les conséquences qui en découlent... Mais, on voit mal comment un « huissier islandais » (je ne sais pas si cette charge existe chez eux) pourrait procéder à des saisies de biens chez des concitoyens dans la même situation que lui-même… Les Anglais et les Hollandais devraient donc envoyer une force d’occupation pour se payer sur la bête… Bref, c’est la guerre ou pour le moins un risque de sanctions, de la part des Anglais et des Hollandais, qui isolerait totalement le pays…
Non accessoirement, l'économie du pays s'effondre, encore plus que depuis 2008. Le pays est lui-même mis en faillite et il ne resterait plus beaucoup d'alternative aux masochistes qui prétendraient encore vouloir gouverner ; ils pourraient :
- faire fonctionner la planche à billets, ce qui produirait une hyperinflation, (à mon avis, pouvoir d'achat, déjà durement touché par la crise de 2008 (- 48 %), encore divisé par 2),
- changer de monnaie, mais ça reviendrait à peu près au même que dans le premier cas,
- demander « qu'on » lui prête de l'argent, mais qui le fera et en tout état de cause, ce sera à un taux prohibitif, .... lui-même, générateur d'hyperinflation et de récession, ...
Bref, si les Islandais ne veulent pas revenir au troc et à l'âge de pierre, ils ont du souci à se faire… et on peut faire « confiance » aux politiques et aux financiers pour qu’ils essayent par tout moyen « de la leur faire à l’envers », parce que si le peuple ne veut plus honorer et être solidaire des conneries de ses dirigeants, où allons-nous aller ?
Explications sur le droit…
Il faut comprendre que pour notre droit actuel et à peu près partout dans le monde, quand une entité économique est mise en faillite, les actifs réalisés après liquidation payent les créanciers dans l’ordre suivant :
A - les supers privilégiés :
► 1 : les salariés de l’entreprise, pour des salaires dus plafonnés par salarié à 6 mois de plafond de la sécurité sociale pour ceux qui ont plus de 2 ans et demi d’ancienneté ;
B - les créanciers privilégiés :
► 2 : les frais de justice + 2 bis (à la suite) les prêts consentis par des établissements de crédit ainsi que les créances résultant de l’exécution des contrats poursuivis (pour toutes les entreprises qui sont passées en procédure d’observation, de sauvegarde ou de redressement : article 611-11 du Code de commerce) ;
► 3 : les créanciers qui bénéficient d’une hypothèque sur l’entreprise ou d’un gage sur du matériel ; généralement les gros prêteurs ;
► 4 : les créances nées pendant la période d’observation ;
► 5 : le Trésor Public (les impôts et contribution non réglés par l’entreprise) ;
► 6 : le bailleur (propriétaire) ;
► 7 : les personnes « nanties » par le fonds de commerce ;
► 8 : les organismes sociaux (l’URSSAF par exemple) ;
C - s’il reste quelque chose les créanciers chirographaires proportionnellement à leur part dans la masse globale restante :
► 9 : les autres créanciers (notamment les fournisseurs, on les appelle les créanciers chirographaires), c’est là que se situent les dépositaires lambdas des banques,
D - hors catégorisation :
► 10 : les actionnaires de l’entreprise (s’il reste encore quelque chose, ce qui est plus que rare).
Sans vous faire tout son historique et pour vous vulgariser le droit, cet ordre de préséance des créanciers est assez étonnant, jugez plutôt…
Au niveau 1, nous avons les salariés, ce qui est assez compréhensible, on ne peut pas priver ceux-ci des salaires qui les font vivre et puis pas de salaire pas de travail ; rien à dire, bien qu’on pourrait cependant soulever la responsabilité des cadres et pourquoi pas la complicité des salariés, dans la déconfiture de l’entreprise…
Au niveau 2, l’appareil judiciaire se sert… Magistrats, avocats, mais aussi administrateurs judiciaires nommés, mandataires liquidateurs [note 1], …
À l’exception du niveau 4 qui se comprend assez bien (si on veut que l’entreprise puisse poursuivre son activité, pendant la période d’observation ou de redressement, il faut assurer aux fournisseurs, qui continueront à travailler avec elle, qu’ils seront payés), du niveau 3 au 8, se trouvent tous ceux qui ont déposé des suretés ou hypothèques sur les actifs de l’entreprise, ainsi que toutes les institutions qui par leur rapport de force (État, organismes sociaux et autres) ont fait prévaloir l’intérêt collectif sur les intérêts particuliers. Et c’est à ce niveau-là, que le refus des Islandais est intéressant, arrêtons-nous un instant sur ce qui justifie cette préséance :
- tous les prêteurs ou fournisseurs qui ont pris des garanties sur les actifs de l’entreprise (actifs immatériels (notamment le fond de commerce), immobiliers, matériels, mobiliers, financiers et même stocks) de par leur acte juridique déclaratif et/ou contractuel sont prioritaires sur tous les autres créanciers.
- tous les créanciers qui représentent des intérêts collectifs sont de par leur situation servis avant, l’État avant tous les autres, tandis qu’on remarque que les organismes sociaux arrivent en dernière position des privilégiés… sans commentaire pour ce dernier point…
Selon quels principes ces priorités ont-elles été pensées et décidées ? Et c’est là où on peut s’interroger sur la pertinence de la hiérarchie, notamment par rapport aux avant-derniers de la liste, c'est-à-dire les chirographaires.
Discussion sur les principes et les valeurs…
Pourquoi ceux qui ont par un acte juridique pris des garanties et ceux qui représentent des intérêts collectifs seraient-ils prioritaires et mieux traités que les autres ?
Personnellement, les explications justificatives qui sont généralement données [note 2] me paraissent très insuffisantes, notamment parce qu’aucun principe commun ne peut être établi qui donnerait le fil conducteur de cette préséance. Cette hiérarchie est un mélange de principes juridiques, de valeurs morales, de rapports de force et de principes de réalité sans aucun lien entre eux. C’est en fait, un empilement de plusieurs principes qui ont été fixés par les usages et pour lesquels, on a déterminé une hiérarchie des valeurs qui sont tout sauf cohérentes entre elles.
Alors, je vais vous parler du dernier niveau, le « 10 » que je n’ai pas encore évoqué, celui des actionnaires, sociétaires ou associés. Très logiquement, puisqu’ils sont les responsables de la marche de l’entreprise à travers le (ou les) dirigeant qu’ils ont nommé, on estime que leur responsabilité est pleinement engagée et qu’ils ne recevront un remboursement des capitaux qu’ils ont investis dans leur entreprise que s’il reste quelque chose après avoir payé tout le monde ; ce qui n’arrive jamais, puisque par définition quand une entreprise est en cessation de paiement, c’est qu’il n’y a plus assez de fonds propres ou autrement dit que face au passif exigible l’actif disponible est insuffisant.
Étonnant, tout à coup une nouvelle valeur apparaît celle de la responsabilité. Cela va même plus loin, puisqu’en cas de faute de gestion les dirigeants (et mêmes parfois les actionnaires) peuvent être appelés en comblement du passif et même condamnés à la faillite personnelle en cas de manœuvres frauduleuses. Des jugements très rarement prononcés, alors même que le code de commerce et les jurisprudences ont progressivement élargi la notion de faute de gestion à tellement de domaines et de faits, que cela aurait dû multiplier les procédures et les condamnations ; mais, à ma connaissance, il n’en a rien été, bien au contraire (mais c’est un autre sujet).
À la base, cette valeur de responsabilité, érigée en principe, est donc bien le premier fil conducteur et il est étonnant qu’il ait été abandonné en chemin au profil d’une préséance qui y échappe pour le reste des créanciers. Et qu’est-ce qui fondamentalement détermine la responsabilité ?
C’est assez simple… On peut s’en tenir à la définition civile de cette notion : « C’est l’obligation de réparer les dommages que l’on a causés à autrui. » ; mais on peut aussi la déterminer selon deux critères presque objectifs à travers :
- l’asymétrie de l’information : il y a asymétrie de l’information dès que je sais quelque chose que vous ignorez sur un domaine qui nous intéresse tous les deux et/ou sur lesquels nous sommes en concurrence. À ce titre, la connaissance, la culture et le savoir d’une manière générale sont des instruments de domination et de manipulation, quand ils sont utilisés pour que vous fassiez quelque chose pour moi sans que je ne partage avec vous tous les résultats qui résulteront de votre action.
- la position hiérarchique et/ou de pouvoir social : il est défini de différentes manières et j’en ai même fait un mémoire sur leurs mécanismes cachés, mais tenons-nous en au visible : il est évident que tous ceux qui interviennent du niveau 3 à 8, ainsi que le 10 ont plus de pouvoir et de moyens de l’exercer (à travers l’accès à l’information ou les moyens de contrôle ou de coercition), que ne l’ont les simples salariés, les clients, les fournisseurs… et les citoyens.
Pourtant, alors même que toutes les véritables instances de pouvoir et de décision, y inclus l’État, ont été défaillantes dans leur rôle et avaient les moyens d’avoir accès à l’information, ce sont elles qui sont remboursées en premier, à l’exception des associés qui sont remboursés en dernier. Y-a pas comme une contradiction ? Cela ne vous bouleverse pas ? Moi si.
C’est précisément ce que remettent en cause les Islandais. C’est cet ordre juridique déconnecté des responsabilités visibles, car au niveau « 3 », très prioritaire et privilégié, se situent ceux qui réclament, aujourd’hui, leur argent aux banques islandaises.
C'est-à-dire les grands prêteurs financiers (principalement anglais et hollandais) qui ont alimenté les banques islandaises, pour qu’elles puissent prendre sur les marchés des positions, totalement délirantes ; rappelons qu’au plus fort du « jeu de casino », jusqu’à 10 ans de PIB du pays (!!!) ont été engagés sur les marchés spéculatifs [note 3]… Comprenez le problème… Je suis une banque, je joue sur les marchés à risque pour rémunérer mes dépositaires. Pour augmenter mes gains et ma puissance d’intervention, je lève des fonds en empruntant sur les marchés financiers auprès d’autres banques ou organismes financiers ; cependant, j’emprunte très au-delà de ma solvabilité intrinsèque, puisque les ratios bancaires m’autorisent, en gros, à emprunter dix fois le montant de mes dépôts effectifs.
Et en face, nous avons les prêteurs qui ne peuvent pas ignorer à quoi l’argent qu’ils prêtent va servir, le prêtent quand même et se couvrent en prenant des garanties sur les actifs de la banque emprunteuse. La boucle est bouclée, si on gagne tout le monde gagne, si on perd seuls les dépositaires sans sureté perdent… Y-a pas comme un problème ? D’ailleurs, si un ami vous demandait 1 000 euros, pour jouer au loto lui prêteriez-vous, même s’il vous donne en gage sa voiture ? C’est pourtant bien ce que font sans aucun scrupule les prêteurs…
Aussi, je recommande à tous ceux qui ont des avoirs dans une banque de déposer un gage, un nantissement ou une hypothèque sur un des biens possédés par la banque, ce qui lui permettra instantanément d’être remboursé s’il y avait le moindre problème de solvabilité de celle-ci… Je plaisante, mais c’est ce que tous les dépositaires lambdas devraient faire pour ne plus être considérés comme des « cochons de payeurs » sans aucun droit… Beaucoup plus drôle finalement, que la proposition de Cantona, car elle limiterait fortement le pouvoir de nuisance des banques, par la baisse de leur capacité d’emprunt…
On peut opposer à ces faits deux justifications :
1 - La protection des prêteurs et leurs privilèges sont justifiés par le rôle qu’ils tiennent dans le développement du commerce et en conséquence dans notre développement économique.
Un prêteur, qui ne pourrait plus être en mesure de se garantir de son risque, prêterait à des taux beaucoup plus chers et les procédures de vérification concernant l’emprunteur deviendraient également extrêmement lourdes, ralentissant tous les mouvements économiques.
Ces affirmations sont en réalité à moitié fausses. Autant on peut comprendre qu’au 19ième siècle et même au début du 20ième, la protection du prêteur pouvait passer par des garanties en fonction des incertitudes sur l’emprunteur, autant aujourd’hui à l’ère de l’information (où on peut même avoir accès à votre mode et espérance de vie en fonction de vos dépenses), ces protections particulières ne se justifient plus, dans la grande majorité des cas. D’ailleurs, c’est bien en fonction du « risque d’insolvabilité » que les prêteurs déterminent leurs taux. L’absence d'apport de garanties produit, au pire des cas, des majorations de taux entre 0,5 et 3 % ; c’est à peu près la différence que vous trouverez dans les offres financières, entre un prêt immobilier (garanti par l’hypothèque) et un crédit revolving pour des biens de consommation courants. De plus, aucun organisme financier (sauf ceux qui pratiquent des taux quasiment usuraires qui se payent par le nombre malgré les défaillances) ne prête de l’argent sans s’être préalablement correctement renseigné sur l’emprunteur.
Je ne vois donc pas ce qui, au final, justifie l’inégalité de traitement juridique par rapport aux chirographaires, qui sont également des prêteurs pour la banque, bien au contraire... Dans le cas islandais qui nous occupe, on a quoi ? Des prêteurs qui savaient parfaitement ce qu’ils faisaient en prêtant aux banques islandaises et qui demandent le remboursement de leurs prêts, alors que les opérations qu’ils ont permis de réaliser se sont avérées être des fours financiers… Vraiment, je ne vois pas pourquoi on devrait les rembourser, personne ne leur a mis un pistolet sur la tempe pour qu’ils fassent les apports et c’est forcément en toute conscience qu’ils les ont faits. Maintenant, si comme seule réponse, on considère qu’ils ne les auraient jamais faits sans garanties, alors nous reviendrons sur ce point par la suite pour y apporter une solution qui n’induise pas une inégalité de traitement entre les prêteurs…
2 - Quand la rémunération de leurs dépôts bancaires tombait sur leurs comptes de façon très profitable, les clients lambdas ne se sont probablement jamais inquiétés de savoir d’où cela provenait et comment leur banque pouvait leur servir des rendements très intéressants… En cela, ils ont une responsabilité individuelle certaine, pour ne pas dire une certaine complicité, de celle qui me fait bondir quand j’entends ces mêmes citoyens dire : « on ne savait pas », « on nous a trompés », « on n’est pas responsable », … et tant d’autres dénégations qui ne cessent de m’interroger sur la réalité de leur capacité et sur les fondements de la démocratie. Viendrait-il à l’idée de quelqu'un de prêter sa voiture à un inconnu, sans s’assurer qui il est et de comment il va l’utiliser, mais également que son assurance couvrira un éventuel accident de cet inconnu ? C’est pourtant ce que chaque citoyen fait tous les jours en bien pire, en confiant son argent à des banques sans s’informer et sans demander aucun compte à ces dernières sur l’utilisation qui en est fait. Voilà, « bien fait » on pourrait dire, la « voiture » n’était pas assurée, elle a servi à faire du tout-terrain, il y a eu un accident et les réparations ainsi que les dommages causés, c’est pour les pieds du propriétaire, parce qu’en plus le conducteur est insolvable. Plus incroyable encore quand on y songe, le client n’a même pas le pouvoir d’empêcher ce « mauvais conducteur » de continuer à nuire ailleurs, comme il peut le faire, par exemple, lors d’une expression élective démocratique… et ça ne nous interroge même pas, du moins pas nous, seulement les Islandais pour l’instant, qui ont également remis en cause le pouvoir politique pour ses inconséquences...
Notre droit des affaires et du commerce semblent étrangement déconnectés des évidences civiles et même pénales qui prévalent ailleurs : celle de la recherche des coupables, celle d’une hiérarchie des responsabilités, celle d’une obligation de résultat, celle d’une réparation qui ne serait pas demandée aux victimes…
Avec le droit actuel, c’est la double punition, non seulement vous vous êtes fait gruger, mais en plus alors même que vous n’aviez aucun moyen de contrôle sur les responsables, c’est vous qui payez les pots cassés par d’autres ; tandis que ceux qui avaient les pouvoirs pour agir se servent avant tous les autres sur le dépeçage des actifs. Sans oublier que les dirigeants fautifs pourront continuer ailleurs leur carrière, car étrangement, à part les sous-fifres comme Kerviel, le système recycle et protège très bien ses « élites »… Un pouvoir donné par l’origine sociale ou un diplôme de grande école ne sera jamais remis en cause, juste déplacé sur l’échiquier, comme on pourrait l’illustrer en citant la très longue liste des responsables de catastrophes économiques d’État ou d’entreprises qui continuent à sévir envers et contre tout, à des postes à responsabilités.
Cette surprenante dichotomie avec ce que même notre bon sens nous dicte, procède d’une étrange absence : dans notre système de libre concurrence, où le meilleur doit gagner, aucune « sélection naturelle » n’a été organisée par le droit pour les dirigeants, sauf en cas de manœuvres délibérément frauduleuses ; et encore, … dans les projets de notre Président, figure toujours la dépénalisation du droit des affaires qui, si elle n’est pas encore passée sur le plan du droit, est quasiment effective par le démantèlement de facto du pôle financier des juges d’instruction (Le Canard du 08/04/2009).
Au fond du fond, c’est bien le problème de la et des responsabilités qui se pose, de leur hiérarchie, mais également du contrôle des citoyens sur les personnes auxquelles ils confient leurs, biens, leur destiné et tout simplement leur vie. Un problème bien plus large, bien plus fondamental que de simples citoyens qui refusent de payer pour les conneries des autres !
Prospective sur les solutions… et conclusion en attendant la suite…
Tant sur ce blog que sur d’autres, vous vous êtes probablement familiarisés avec un certain nombre de propositions de réformes (qu’on attend toujours d’ailleurs…) :
- séparation des banques d’affaires et des banques de dépôt,
- réglementation ou interdiction de certains marchés spéculatifs,
- et cetera, et cetera, …
Auxquelles, je rajoute suite à cet article :
- inversion de la préséance des créanciers selon le seul critère de responsabilité et en supprimant les suretés, ce qui nous donnerait :
► 1 : les salariés de l’entreprise ;
► 4 : les créances nées pendant la période d’observation + 2 bis (au même niveau) les prêts consentis par des établissements de crédit ainsi que les créances résultant de l’exécution des contrats poursuivis (pour toutes les entreprises qui sont passées en procédure d’observation, de sauvegarde ou de redressement : article 611-11 du Code de commerce) ;
► 9 : les chirographaires ;
► 6 : le bailleur ;
► 8 : les organismes sociaux ;
► 2 : les frais de justice ;
► 5 : le Trésor Public ;
► 3 et 7 : les gros créanciers ; ceux qui auront passé des accords de contrôle sur l’entreprise ;
► 10 : les actionnaires de l’entreprise.
- la suppression des suretés sur les entreprises serait compensée par la possibilité donnée au prêteur d’avoir un contrôle sur la gestion et l'avenir de l'entreprise, en entrant comme associé dans le capital, avec deux options :
- soit en exigeant une rémunération et un remboursement fixe pour ses apports, ils auraient alors en gros les pouvoirs d’un commanditaire (comme dans les commandites par actions)
- soit de devenir de plein droit un associé ; bien évidemment, ces deux options exigeront une adaptation du droit actuel qui devra re-permettre de fixer des règles de majorité en dehors des apports économiques (possibilité - dont il ne subsiste qu’une forme, les actions à droit de vote double pour quelques sociétés - qui existait avant la réforme de 1967 et qui a été supprimée, comme si seul l’argent devait déterminer le pouvoir dans nos entreprises).
- la réactivation et l’actualisation du premier projet initial des lois Auroux, qui devaient faire rentrer les salariés dans les instances de gestion des entreprises.
Mais une proposition qui figure sur ce blog, depuis quelques années, dans celles concernant la justice, n’a jamais été relevée par aucun lecteur, alors même qu’elle fonde une partie du nouveau contrat démocratique que par mes propositions de réformes constitutionnelles et autres, j’essaye d’impulser :
- La création d’un droit des « responsables », regroupant toutes les conséquences que certaines responsabilités ne manquent pas de produire, sans que les intentions soient délibérément de nuire, de causer des préjudices ou d’en tirer un profit personnel. Ce droit s’appliquerait à toutes les conséquences néfastes consécutives à des prises ou des absences de décision des responsables : hommes politiques et élus, cadres de la fonction publique, chefs d’entreprise, professions libérales (liste non exhaustive). Des infractions comme le mensonge, l’incompétence, la négligence ou la cupidité au détriment de l’intérêt général pourront être sanctionnées. Les peines seront proportionnelles aux préjudices causés et prévoiront notamment l’interdiction d’exercer des responsabilités (sur tous domaines ou partiellement) et la suppression des droits civiques, jusqu’à des durées de 30 ans. Tout détournement de l’interdiction d’exercer, notamment en prenant des prête-noms, aggravera la peine d’une sanction pénale d’emprisonnement. Pour que plus jamais on ne puisse entendre : « responsable, mais pas coupable » !
En ce sens, les Islandais nous montrent la voie. S’ils arrivaient à créer une jurisprudence sur leur non-responsabilité, ils rendraient un grand service au monde, en plus qu'à eux-mêmes.
On peut imaginer que nous aurions une première juridique, qui inventerait une liquidation partielle qui épargnerait aux chirographaires de payer quoi que ce soit... C'est-à-dire, l'exact contraire de ce qui se produit aujourd'hui en cas de liquidation ou de mise en redressement judiciaire !
C'est pourquoi, il faut soutenir ce peuple dans son refus par tous moyens. Ils ne bossent pas que pour eux, ils posent plus largement le principe d'une distinction des responsabilités qui pourrait aboutir à ce que les dirigeants assument jusqu'au bout et seuls, leurs bêtises et leurs inconséquences.
À ce titre, le prochain rendez-vous avec ce peuple sera probablement les propositions que la Constituante, élue en novembre 2010, doit rendre en juin de cette année.
Nul doute que cela va nous intéresser, nous et seulement nous, parce que si on attend que les grands médias français nous en parlent, on n’a pas fini de ne rien savoir…
[note 1] - Il y aurait beaucoup à dire sur ces deux dernières catégories, tant celles-ci apparaissent surtout comme des charognards plus que comme des aides. Je n’ai jamais vu un administrateur judiciaire faire ce qu’il faut pour permettre à l’entreprise de trouver des solutions, de même, visiblement, ce n’est pas le souci des mandataires liquidateurs de réaliser au meilleur prix les actifs.
À ma connaissance, il existe 25 administrateurs judiciaires à Paris qui se partagent l’intégralité des mises en redressement judiciaire (environ 2 200 dossiers par an). Je n’en ai jamais connu aucun qui ait eu vraiment le souci de redresser les entreprises dont il avait la charge. Au contraire, le surcoût que représente leurs prestations (des sommes colossales, souvent, pour simplement signer quelques chèques par mois) ont tôt fait d’accélérer la chute finale des entreprises en difficultés…
De même, les mandataires liquidateurs sont assez prompts à brader à vil prix tout ce qu’ils pourront, au détriment le plus souvent des chirographaires qui se retrouveront sans rien au final, pressés qu’ils sont de toucher rapidement leur pourcentage sur les ventes.
Depuis 30 ans, plusieurs réformes ont été tentées pour règlementer et libéraliser ces statuts, sans que jamais cela ne puisse aboutir… On ne remet pas en cause des « privilèges » aussi facilement en France. Je suis prêt à parier que tous ces gens-là payent l’ISF et sont tous au taux maximum de l’IR, ceci expliquant peut-être cela.
[note 2] - Il y en a de nombreuses autres que vous pourrez trouver dans les jurisprudences et la doctrine juridique, les explications que je vous fournis n’étant que des résumés très succincts.
[note 3] - À côté de ça, comparativement et proportionnellement, notre minable affaire Kerviel ou celle du Crédit Lyonnais, c’est vraiment de la gnognote.
Remarquons au passage que les Français ne se sont pas posé la question de savoir qui allait payer pour les erreurs de leurs dirigeants… Que ce soit à travers l’impôt ou par l’augmentation des frais et services bancaires, ils ont payé, sans moufter…