Première date de publication : 01/05/2011
Date de la dernière mise à jour : 22/07/2013
Savez-vous pourquoi, aux urgences de l’hôpital Tenon quand vous patientez, parce que vous accompagnez un malade sur un brancard, vous n’avez pas le droit à une chaise ? Hé bien : « c’est pour empêcher que les gens qui attendent, finissent par s’en servir comme projectile contre le personnel soignant… » (Sic !!!)… Dixit la réponse de la personne de l’accueil de ce « charmant » service…
Et savez-vous pourquoi au bout de neuf heures d’attente, ce n’est pas une chaise que vous avez envie de leur mettre sur la gueule, mais bien de buter tous les soignants ? Hé bien, je vais vous expliquer…
Ma mère de 85 ans est tombée dans l’escalier la tête la première… Perte de connaissance, contusions et plaies multiples… Appel angoissé de ma sœur qui n’arrive pas à joindre les urgences… J’y arrive, moi après environ 6 minutes d’attente qui semblent toujours une éternité dans ces cas-là… Réveil de ma mère… Pompiers… Je rejoins ma mère et ma sœur, qui viennent d’arriver aux urgences de Tenon… Et l’attente commence avec ma mère salement amochée… Les pompiers ont bandé les plus grosses plaies et ma sœur éponge les autres… Nous sommes seuls dans l’aire d’attente des brancardés (le hall d’arrivée des urgences ouvert sur l’extérieur), en ce début d’après-midi de ce samedi de week-end pascale.
Nous sommes reçus dans l’heure par l’infirmier répartiteur, celui qui décide de l’ordre des urgences… Interrogatoire… Ma sœur décline toute l’histoire de la chute, les pathologies de ma mère (méningiome qui lui donne des symptômes de type alzheimérien, AVC transitoires, arthrose, cancer stomacal, …) et toute la pharmacopée qu’elle ingurgite quotidiennement pour continuer à survivre. L’infirmier veut absolument savoir, si elle a perdu connaissance avant de tomber et si sa chute est consécutive à un étourdissement… Non, non, juste une maladresse et un emmêlement entre sa canne et son sac qu’elle avait enlevé de l’épaule… prise de sa tension et ça lui suffit. Aucune autre question, ni proposition de pré-soin ne serait-ce que pour nettoyer les plaies de ma mère. Elle a la peau très fine et du coup des plaies un peu partout, au cuir chevelu, au visage, aux bras, au ventre, avec du sang qui a coulé ou qui continue à couler d’un peu partout…
Puis l’attente commence, …
Nous sommes en principe les premiers sur la liste des urgences… Dans les 3 heures qui suivent, les pompiers déposent une demi-douzaine de brancards de pathologies et d’accidents divers… Une femme avec une plaie au visage se sauve, parce qu’elle ne veut pas attendre 3 heures pour se faire recoudre ; une autre arrivée pour un mal de ventre n’attendra pas non plus son reste ; un « zombi » essaye de se lever de son brancard, mais c’est juste pour taper et aller fumer des clopes dehors…
J’obtiens après moult gentillesses une chaise (voir introduction) pour rester près de ma mère. Nous alimentons ma mère qui a soif et faim… en essayant de la calmer quand elle ressent de terribles douleurs, aux côtes et à la hanche, qui la font gémir et pleurer, ce qui n’est pas du chiqué compte tenu de ce que je connais de la résistance à la douleur de ma mère… pendant que sa peau vire progressivement au bleu indigo profond à tous les endroits contusionnés…
Je découvre que les deux salles d’attente, un peu à l’écart du hall, regorgent d’une centaine de personnes qui sont venues sur leurs deux jambes… Ma sœur y rencontre un de ses collègues qui est venu pour un renouvellement d’ordonnance (SIc !). Bref, le quotidien d’un service d’urgence, où visiblement 80 % des personnes qui attendent pour être « soigné », n’ont absolument rien à faire là… et je n’évoquerai même pas les conditions d’attente dans ce hall de gare, ni la vétusté des locaux et la crasse omniprésente, dignes d'un hôpital de brousse du tiers-monde, tant ce genre de choses n’est même plus un scoop et tant la population s’est habituée à l’inadmissible.
3 heures après avoir vu l’infirmier, donc 4 heures après sa chute ma mère est emmenée pour la consultation avec le « docteur »… Je dis qu’il vaut mieux que nous l’accompagnions, car elle est sourde et ne comprend pas toujours ce qu’on lui dit, mais non, hors de question, c’est le règlement… Nous attendons donc…
Quelque temps après la docteure veut nous parler… Une môme qui doit terminer son internat. Rien de grave apparemment, une radio de contrôle de ses côtes et de sa hanche et elle pourra rentrer, s’il n’y a rien, mais il faudra la surveiller. Je lui dis, mais est-ce que vous savez qu’elle a perdu connaissance au moment du choc ?… Stupeur de la docteure… Ha non, je ne savais pas, ce n’était pas noté (Sic !!!), répond la docteure ; et visiblement, ça change tout… Hé oui, madame, si on ne pose pas les bonnes questions (une interrogation oubliée par l’infirmier répartiteur, ce qui après coup m’avait étonné en me souvenant de mes cours de secourisme), on ne risque pas d’avoir les bonnes réponses. Elle part pour savoir quoi faire. Une demi-heure après, elle revient et se rattrape : ça fait 4 heures, alors on peut faire un scan pour vérifier s’il n’y a rien à la tête. Et on part pour les examens, le scan est à peu près à 150 mètres des urgences… Entretemps, ma sœur va chercher les anciens scans, prescriptions et résultats d’analyse de ma mère.
Nous sommes arrivés vers 15 h 30, il est 22 heures et ma mère, avec les résultats des examens et son dossier, repart pour la consultation. Nouveau refus de l’infirmier pour que nous l’accompagnions et altercation avec celui-ci, compte tenu du ton totalement déplacé qu’il prend pour s’adresser à nous. Un petit con de plus qui pense qu’il faut être arrogant et méprisant, quand on représente un tout petit pouvoir.
23 heures, retour de la docteure qui nous parle devant toute l’assemblée des gens qui attendent comme nous (et avec lesquels nous avons eu le temps de sympathiser, dont une femme qui est là depuis 11 heures du matin pour sa mère dans un aussi mauvais état que la nôtre, sans que la médecine n’arrive à se prononcer sur ce qui ne va pas). La docteure est formelle, elle n’a quasiment rien, elle peut rentrer… Bon, tant mieux, bien que je n’y crois pas beaucoup. Puis une attente anormale, puisque nous devions sortir…
Minuit, réapparition de la docteure, toujours devant tout le monde… Votre mère a fait un malaise quand nous l’avons levée, nous préférons la garder pour la nuit. Ha… et c’est normal ça docteur ? Elle n’en sait rien… Bon bé, on s’en contentera. On aura quand même le droit de faire un bisou à notre mère totalement dans les vapes, avant de rentrer chez nous vers minuit trente…
Pour ceux qui restaient dans l’attente, la nuit risquait d’être longue et je suis sûr que je serais monté sur un brancard pour dire « couvrons de goudron et de plumes ces incapables », il y aurait eu ce soir-là une jacquerie à l’hôpital Tenon, tant tout le monde semblait à bout pour exactement les mêmes raisons que nous. Heureusement, que nous étions les premiers dans l’ordre des urgences, et je n’ose imaginer à quelle heure passeront et sortiront les autres...
En rentrant chez moi, je me réfugie chez des voisins, mais néanmoins amis. Ils sont adorables, ils m’ont gardé à manger, ils s’occupent de moi… La chaleur humaine est vraiment le meilleur remède à toutes les peines… un îlot d’humanité (dont je me félicite tous les jours de faire partie) dans ce monde de brutes…
Le lendemain, ma sœur est « bien évidemment » debout plus tôt que moi… Elle doit rappeler plusieurs fois le service avant de parler à la nouvelle docteure de garde qui lui explique que notre mère peut rentrer… Soit, mais compte tenu de son état, c’est une ambulance qui la ramènera… Le temps que ma sœur arrive à l’hôpital et elle doit arrêter les ambulanciers qui emmenaient ma mère sans avoir ôté sa perfusion… et arrivée à la maison, c’est la consternation et l’angoisse : ma mère n’a plus aucune mobilité, aucune de ses plaies n’a été traitée, elle souffre terriblement et est même incapable de faire ses besoins toute seule. Bref, elle rentre chez elle exactement dans le même état où les pompiers l’avaient emmenée, sans aucune solution thérapeutique et sans que le moindre soin ne lui ait été prodigué.
Ma sœur rappelle la docteure lui demandant la marche à suivre avec notre mère qui ne peut plus rien faire toute seule et qui souffre. Stupeur de la docteure… Personne n’avait intégré, ni noté, que ma mère était encore autonome avant sa chute… Elle propose que nous la ramenions…
Mais là, c’est bon, on a compris, on fera sans eux…
Ma sœur fait appel à son médecin qui vient et qui ne peut que constater les dégâts. C’est lui qui fera les prescriptions thérapeutiques, pour soulager ma mère, soigner ses plaies et ses contusions.
Quand, munis des produits nécessaires, ma sœur et moi traitons les plaies de ma mère qui avaient été « colmatées » par les pompiers, les gazes ont collé et en les ôtant ma mère se remet à saigner de partout… Heureusement, on a été élevé par cette mère-là et on n’est pas impressionnables, juste meurtris par ses souffrances inutiles dues à des incompétents…
Ça vous a intéressé ? Attendez, ce n’est pas encore fini…
Voici le courrier que j’ai envoyé dès le dimanche au Chef de service des urgences, ainsi qu’en copie à la Direction de Tenon, et aux Droits des patients :
Monsieur,
Hier samedi 23 avril 2011, en début d’après-midi, votre service a « traité » ma mère pour une chute dans des escaliers…
Après 9 heures d’attente, le médecin présent, a finalement décidé de la garder pour la nuit, pour que celui qui lui a succédé, Madame XXX, la renvoie finalement chez elle ce matin…
Sauf que, il ya deux problèmes et pas des moindres :
- Ma mère ne marche plus ! Ce qui n’était pas le cas avant sa chute, même si elle avait des difficultés dues à son grand âge et à ses multiples pathologies.
- Aucune de ses plaies n’a été traitée, et elle est ressortie à ce niveau-là, tel qu’elle était rentrée chez vous, sans même évoquer le manque d’hygiène total dans lequel on l’a laissé presque 24 heures.
C’est inadmissible ! On ne laisse pas sortir quelqu’un qui marchait avant, et qui ne marche plus suite à une chute, sans proposer un diagnostic et surtout des solutions thérapeutiques et d’assistances, temporaires ou définitives. De plus, ne pas traiter ses plaies relève tout également de la faute professionnelle.
Maintenant, si vous avez des consignes pour que les vieux meurent plus vite, il faut le dire, je pense que ça intéressera beaucoup de monde.
Suite à un appel pour des explications, j’attends toujours que Madame XXX me rappelle, mais je pense que je vais attendre longtemps...
Si les conséquences de votre incapacité à faire face à vos responsabilités devaient être dommageables pour ma mère, soyez assuré que je saurai prendre les mesures juridiques qui s’imposeront.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Voici la réponse de la Direction qui est arrivée le mardi suivant :
Madame Monsieur,
Nous avons pris note de votre message électronique que nous avons transmis au service des affaires Juridiques - droits du patient, pour enquête.
Vos interlocuteurs sur ce dossier sont :
- Madame YYY, Chef de Service des Affaires Juridiques et Droits du patient
- Madame ZZZ, Assistante
Cordialement ;
Et celle du Chef de service des urgences qui est arrivée, le mercredi, fautes d’orthographe freudiennes incluses, car confondre un verbe avec un pronom sujet et faire des fautes d’accord, ça a du sens, surtout quand on est bac + 10 :
Monsieur,
J'ai repris votre dossier et revu le passage de votre mère avec ceux qui l'on pris en charge.
Il ressort que, du point de vue médical, l'attitude et les soins médicaux sont parfaitement conformes aux règles de l'art.
Par ailleurs, nous avons eu plusieurs fois et longuement votre sœur au téléphone et la sortie a été envisagée en commun, dans le cadre d'un essai, la porte étant ouverte pour un retours en cas d'échec.
Maintenant, sur les conditions d'accueil du service d'urgences de l'hôpital Tenon, je déplore les locaux, le manque de personnel et le délai d'obtention des examens complémentaires nécessaires aux patients que nous traitons. Ainsi j'espère que votre courrier aidera à améliorer cela.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma parfaite considération.
Et ma réponse au chef de service :
Monsieur,
Vous avez parfaitement raison de continuer à faire l'autruche et à vivre avec vos certitudes...
Il est absolument certain que ne pas traiter des plaies (nombreuses et sanguinolentes) et laisser sortir quelqu'un qui marchait et qui ne marche plus est tout à fait conforme aux règles de l'art. Vous vous moquez de qui ?
J'ai été continuellement présent pendant les 9 heures d'attente et vous n'avez pas eu ma sœur plusieurs fois et longuement au téléphone, vous l'avez eu une fois le matin où votre décision de sortie a été prise. Alors, n'inventez pas des faits. Par ailleurs, comme je le prévoyais, Madame XXX ne m'a jamais rappelé.
Il est bien évident que ce n'est pas dans vos services, meurtriers et irresponsables, que nous ramènerons ma mère pour la faire "soigner", tant il semble vous échapper le b a ba des règles de l'art thérapeutique et même du minimum d'humanité ; comme votre obstination à séparer les malades des accompagnants, alors que précisément pour ma mère qui est sourde et a des symptômes alzheimeriens, cette assistance était plus que nécessaire.
Pour le reste, je compatis à vos très mauvaises conditions de travail, mais en aucune manière elles ne peuvent excuser, ni justifier vos incompétences et inconséquences.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Depuis, silence radio… C’est hallucinant, une direction qui se réfugie derrière ses avocats et un chef de service qui nie l’évidence, et après ils trouveront probablement que les gens sont de plus en plus agressifs ; sans ressentir la moindre responsabilité dans cet état de fait, bien évidemment. Mais c’est des baffes et des baffes qu’ils méritent…
Une science criminelle, assez décriée, s’appelle la victimologie ; je pense qu’il est urgent que tous ces gens-là se penchent un peu sur ces concepts. Ils y apprendront notamment comment certaines personnes sont prédisposées à devenir des victimes et même comment ils suscitent et provoquent l’agression.
Ma sœur a dû prendre sa semaine pour s’occuper de ma mère… Heureusement, elle est assimilée fonctionnaire et a tellement de RTT à prendre qu’elle peut le faire… Depuis ma mère ne peut plus bouger de son lit et continue à avoir mal, malgré les prescriptions d’antidouleurs. Cette femme qui a commencé à travailler à 13 ans et fait 4 mômes, ne coûtera pas grand-chose à la collectivité…
Je ne sais plus qui a dit quelque chose comme : « une société qui ne s’occupe pas de ses vieux perd son âme » ; mais il me paraît assez évident que nous sommes plutôt arrivés à : « Les vieux, faudrait les tuer dès la naissance. » (Robert Guédiguian) ; selon les « bons principes » rationalistes et comptables de notre « système de santé ».
Je ne comprends pas pourquoi des services comme celui de Tenon ne sont pas tout simplement fermés… Ils n’exercent pas leur mission et ils constituent même un danger pour la santé publique (ça n'est pas moi qui le dis, tout seul).
20 ans que cela se dégrade, je pensais avoir tout vu, compte tenu d’autres drames que j’ai subis ou connus, mais, non, ils font toujours plus fort… Ils attendent quoi ? De tuer quelqu’un et que ça se sache ?
Il paraît assez évident à la lumière de cette dernière expérience que, même si le manque de moyens est réel, une bonne part des problèmes provient d’une démotivation totale, d’un manque d’expérience et de formation des personnels. La moyenne d’âge des soignants que j’ai rencontrés devait tourner autour de 30 ans… Comme si, sur des services sensibles tels que ceux des urgences, il était normal de mettre des gens qui sortent de l’école et avec peu d’expérience…
De même, je ne comprends toujours pas pourquoi, les gens qui n’ont rien à faire là, sont reçus quand même… C’est absurde… et puisqu’il est vrai qu’il est également très difficile de trouver des médecins de ville de garde, pourquoi ne pas établir une consultation sur place en dehors du service d’urgence ? Sûrement trop simple à mettre en place…
En attendant, évitez ce lieu, et si vous ne pouviez pas faire autrement ou deviez y accompagner quelqu’un, n’oubliez pas d’apporter votre chaise, un traité exhaustif sur la non-violence et la « zenitude », sans oublier votre trousse à pharmacie…
P.-S. du 22/07/2013 : les locaux des urgences de Tenon ont été réfaits à neuf ; mais, à l'évidence, pas le personnel... Dernièrement, un amie s'est profondément entaillée la main et elle a pu tester en direct... Arrivée à 13 h, elle n'est passée devant un toubib qu'à 19 h, pour s'entendre dire : "nous ne sommes pas des spécialistes de la main (Sic !!!) ; il vaut mieux aller à St Antoine"... C'est tellement évident qu'il faut attendre 6 heures, pour être ré-orienter... Vraiment honteux...
commenter cet article …