Première date de publication : 23/07/2010
Date de la dernière mise à jour : 23/07/2010
Si vous voulez suivre et comprendre ce qui va se dire après, il est indispensable que vous lisiez le remarquable artiche de Catherine Kintzler : Burqa et niqab au-delà du masque : une dépersonnalisation indifférenciée ; un des rares articles que j’ai lu sur la toile qui pose, à mon sens, les bonnes questions, même si je ne suis pas d’accord avec sa proposition finale.
Pour ma part, j’ai adopté un autre point de vue dans : D - Burqa : la liberté et le doute doivent-ils profiter à l’obscurantisme ?… Réflexions et solutions alternatives… ; mais il ne me semble pas nécessaire que vous lisiez ou relisiez ce texte, car, les arguments que j’y expose, du moins les plus fondamentaux, sont repris dans les échanges et de façon encore plus développée ; de même que je dois à Catherine Kintzler d’avoir fait évoluer mes propositions initiales, notamment par rapport à notre Constitution.
Nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur les moyens où du moins sur leur priorité…. Cependant, à plus d’un titre, j’ai trouvé ces échanges fructueux et enrichissants ; et par bien des aspects, exemplaire d’un débat entre citoyens qui essayent de se convaincre avec des arguments de fond ; pas avec les sempiternelles dérives de la blogosphère, de ceux (trop nombreux à mon goût) qui "font" de la politique, comme ils rentreraient en religion.
C’est probablement trop long et fastidieux à lire pour un blog, mais celles et ceux qui voudront aller au bout y découvriront assurément de quoi alimenter leurs réflexions dans bien des domaines. C’est suffisamment rare et précieux pour que je souhaite vous le faire partager.
C’est un parti pris de n’avoir pas expurgé les échanges de certaines réflexions accessoires et de nos échanges personnels, ils disent aussi qu’un débat d’idées n’est pas exempt de "facteurs" humains qui en surdéterminent parfois l’issue, heureusement ou pas, cela dépend du point de vue.
Incognitototo
Un excellent développement, sauf que, sauf que... vous vous attachez au signe extérieur, en y appliquant votre "analyse sauvage" sur les raisons de cette dépersonnalisation, sans rien proposer qui s'attaque au "cœur des problèmes".
Le problème ce n'est pas la burqa parce que si la burqa est un problème, alors je pense que les costards cravate aussi... pour moi, ils renvoient exactement le même état de dépersonnalisation, de masquage de l'identité et de soumission à un ordre social supérieur (j'en sais quelque chose...)... Avec votre développement vous décidez d'une "norme" et qui êtes-vous pour imposer celle-ci à tous ?
Il y a une autre façon de voir les choses et je vous invite à venir lire comment j'ai réfléchi (péniblement) au problème.
J'ai eu du mal, mais au final, j'ai une vision et des propositions bien différentes de vous.
Catherine Kintzler
Je suis bien d'accord qu'il y a des uniformes partout, mais ils laissent cependant un espace au droit à la singularité, et il faut bien que ce droit prenne une forme extérieure - le visage en est le siège et l'emblème symbolique. Il vaut mieux du reste s'en tenir à ce qui est extérieur, autant que possible ; on n'a pas à sonder les reins et les cœurs et c'est pourquoi (entre autres) je pense qu'il ne faut introduire aucune différence entre une cagoule et un voile intégral. Il me semble d'ailleurs que la proposition de loi qui sera discutée prochainement s'appuie sur cette indifférenciation.
Bien sûr qu'il faut décider de "normes" et de limites à ne pas franchir. Mais je ne décide rien toute seule, je n'en ai ni le droit ni le pouvoir ni la capacité : je me contente - comme vous le faites de votre côté - d'afficher une position et de proposer une argumentation ; c'est au souverain légitime (dont vous et moi faisons partie : voilà ma réponse à votre question "qui êtes-vous pour...?") de décider s'il y a lieu de se prononcer légalement. Mais nous avons le droit de contribuer aux débats qui sont susceptibles d'alimenter cette décision.
Sur la question du masque (et le visage "nu" est lui-même une composition qui relève d'une forme de masque), du compromis entre le "tout visible" et le "tout dérobé", entre le "trop proche" et le "trop loin", il y a un autre texte sur ce blog, que je vous invite aussi à lire, Le visage et la main, le masque et le gant, comme j'invite bien sûr les lecteurs de Mezetulle à aller voir votre blog (voici le lien) où ils trouveront, entre autres, d'excellentes illustrations concernant la question du visage comme production, comme travail symbolique.
Incognitototo
Il y a bien évidemment, des distinctions à faire dans les normes, mais, pour moi, notre Constitution les définit assez clairement pour que nous n'ayons pas à introduire une discrimination dans des choix privés...
Comme, je suis motard, je porte une cagoule l'hiver, je suis donc totalement non identifiable pour ceux qui me voient passer... Pourquoi mon choix est-il admis et pas celui de celles qui en font un mode de vie ? Juste parce que l'intention est différente ? C'est introduire une distinction bien dangereuse dans l'espace de nos libertés qui se restreint, jour après jour, comme peau de chagrin...
Je me demande bien qu'est-ce que révèle cette obsession (assez récente, disons 2001 pour être précis) de la société et même de ses plus ardents défenseurs laïques à vouloir absolument identifier tout le monde, mais également à vouloir la "sécurité" à tout prix ? Cela me paraît relever de symptômes autrement plus graves que des comportements asociaux individuels...
Entre la loi Hadopi (et bien d'autres), la vidéosurveillance, les traçages RFID, cette loi sur la burqa, celle qui se prépare sur la levée de l'anonymat sur Internet, ... et pourquoi pas demain, la levée du secret des sources pour la presse, ou la suppression du vote à bulletin secret aux élections... le cauchemar orwellien est en marche et quand vous vous réveillerez, il sera trop tard...
Cette loi serait une démission de plus, des politiques à traiter les problèmes à la base... Un problème ? Vite une loi pour le cacher et tout le monde va se recoucher gentiment en ayant le sentiment du devoir accompli. Comme si ces pauvres femmes (devenues à nouveau inidentifiables, si elles respectent la loi), n'allaient pas payer le prix fort de cette interdiction !!! Doublement opprimées, beau résultat...
Si, on veut bien arrêter de cacher le symptôme et soigner la maladie, il y a pourtant bien des choses que nous pourrions faire, autrement plus productives :
- renforcer les dispositifs de répression des violences faites aux femmes, comme ils l’ont été, par exemple, de façon exemplaire, en Espagne ;
- renforcer les dispositifs de lutte contre les sectes ;
- mettre à la disposition des personnes engagées dans ces sectes des centres d'enquêtes, d'accueil, d'écoute et d'exfiltration ;
- permettre aux entreprises d'introduire des discriminations sur les choix vestimentaires trop connotés, ...
Quant à la sécurité publique, argument fallacieux s'il en est, je ne vois vraiment pas ce qu'une loi va changer aux obligations d'identifications qui existent déjà...
Au final, il y a une chose qui m'a poussé à intervenir ici (alors que d'habitude je lis avec plaisir les articles sans ressentir le besoin d'y apporter mon avis, même si parfois je ne suis pas tout à fait d'accord), c'est que je m'étonne de trouver sur une tribune laïque, la vôtre, mais également d'autres, de plus en plus de gens qui se trompent d'ennemis... et là aussi, il n'y a sûrement pas de hasard...
Catherine Kintzler
Les questions que vous posez ont été abordées dans plusieurs articles et débats qui ont eu lieu depuis 2007 sur ce blog. Je me permets donc de vous y renvoyer (pour plus de commodité, je propose quelques liens en bas de ma réponse), ainsi qu'à la discussion approfondie dans les commentaires qui précèdent. Bien que je sois lasse de répéter les mêmes choses ad nauseam je reviens sommairement ici sur quelques points.
Il ne faut pas confondre identification effective et permanente (demande exorbitante qui serait un déni de liberté) et possibilité d'identification. Je ne me promène pas avec mon nom inscrit sur une plaque visible de tous et une législation qui imposerait de le faire serait liberticide. Mais je ne me promène pas non plus en déclarant ouvertement que mon identification est impossible. Le droit au secret et au quant-à-soi n'est nullement remis en question. C'est pourquoi les rapprochements avec d'autres mesures attentatoires à ce droit ne me semblent pas pertinents.
Le casque et la cagoule de moto. Le motard ne les porte pas dans les espaces ordinaires accessibles au public, il ne refuse pas d'enlever son casque et sa cagoule qui n'ont pas pour fonction principale de dissimuler son visage. Il n'y a ici aucune dérobade de principe à la possibilité d'identification. On peut même étendre l'exemple : en ce moment de canicule, je sors avec un chapeau et de grandes lunettes noires, mais je ne me dérobe à aucune demande d'identification, il ne s'agit pas d'un port permanent destiné à me masquer et à me soustraire à toute civilité. Cette destination ne se juge pas par procès d'intention, mais sur un acte explicite de refus. Et d'après ce que j'ai compris du projet de loi, il concerne toute cagoule, sinon ce serait discriminatoire.
La laïcité ? J'ai expliqué à maintes reprises sur ce blog et ailleurs pourquoi à mes yeux la question du port du voile intégral dans les espaces accessibles au public ne concerne pas le principe de laïcité - celui-ci ne s'appliquant qu'aux espaces, situations et fonctions qui participent de l'autorité publique. Cela m'a valu notamment de me faire traîner dans la boue par les "ultras laïques" - il faut dire que je suis ici en bonne compagnie puisqu'ils ont fait de même avec Caroline Fourest, Mohamed Sifaoui, Henri Pena-Ruiz.
Sur la notion d'"ennemi". Je ne raisonne pas en termes d'ennemis, je ne suis pas substantialiste. Je raisonne en termes de positions point par point, et en termes de divisions sur des thèses et des concepts. Et il est à mes yeux très important aujourd'hui que les divisions au sein même des personnes de culture musulmane apparaissent, soient exposées, argumentées, réfléchies, débattues de manière critique, et généralement qu'aucune personne (qu'elle soit ou non de culture musulmane) ne soit a priori identifiée de manière communautaire en termes d'appartenance.
Quelques références internes sur le débat concernant le voile intégral :
La burqa, masque et prison : à la fois au-dessus et au-dessous de la loi
Pour lutter contre l'intégrisme, faut-il commencer par baisser les bras ?
Légiférer sur le voile intégral : oui ! Au nom de la laïcité: non ! (par Marie Perret)
Interdiction : voile intégral ou masque ?
D'une manière générale, vous trouverez une récapitulation analytique des textes publiés ici sur la laïcité dans Questions fréquentes sur la laïcité.
Incognitototo
Oui, Catherine, je comprends votre irritation quand vous devez vous répéter, moi-même je déteste ça... Alors, excusez-moi.
Cependant, les liens que vous me proposez (à moins que je ne les aie lus trop vite) ne répondent pas au problème que je soulevais... D'ailleurs, comment être en désaccord avec des concepts ? Je les partage tous ; dans leur contexte, ils sont parfaits et forcément vrais.
Non, ce qui m'intéressait, c'est de vous interroger sur la question des leviers et moyens d'action politique, puisque sur le fond nous sommes d'accord, cette dépersonnalisation et ce qu'elle recouvre sont intolérables.
Le problème, c'est que ce qui est vrai à un niveau individuel (comme exposé si justement, dans le "Le visage et la main, le masque et le gant") n'implique pas, automatiquement, qu'à un comportement "déviant", la réponse sociale, et qui plus est politique, soit l'interdiction.
Personnellement, je suis convaincu, au moins, de trois choses :
- les lois sont des choses trop sérieuses, pour qu'on les utilise de manière atomique pour écraser une mouche, (je ne sais pas si je me fais bien comprendre), même si cette "mouche" a toutes les caractéristiques d'un muscidé fasciste, prosélytique, expansionniste et politique,
- les interdictions qui ne traitent pas le fond, conduisent à faire resurgir les problèmes sous une autre forme, souvent de façon bien plus violente encore, (l'histoire des peuples est pleine d'exemples à ce sujet)
- on ne peut pas traiter les interdictions relatives à un contexte culturel et social, comme on traiterait les interdictions absolues, c'est-à-dire celles qui ne souffrent aucune discussion ("tu ne tueras point", etc.).
Cette loi d'interdiction, pour faire des comparaisons qui valent ce qu'elles valent, serait comme un psy qui interdirait ou enjoindrait à un patient de cesser d'avoir un symptôme pour pouvoir continuer le dialogue thérapeutique... ou pourquoi pas, d'un médecin qui refuserait de voir une plaie pour soigner son malade... Il y a une démission et du déni dans cette loi et c'est ça qui personnellement me conduit à être en désaccord avec son application.
D'ailleurs, (dans "Légiférer sur le voile intégral : oui ...") vous êtes parfaitement consciente que cette loi ne traitera pas le problème au fond, puisque vous proposez, entre autres, de revoir nos concepts éducatifs.
Et moi, je vais plus loin, je préfère que mes "ennemis" restent visibles et identifiables plutôt qu'ils agissent souterrainement. Pour autant, pas de démission munichoise, puisqu’'il me semble que ce que je propose en terme d'action politique, à la place de cette interdiction, serait bien plus à même de traiter les problèmes au fond (voir post précédent).
Catherine Kintzler
Je pense comme vous que de manière générale nous en arrivons à un pointillisme juridisant qui malheureusement est souvent un dernier recours. J'ai été confrontée directement à ce problème lors de la "première affaire du voile" en 1989 - il aurait suffi alors qu'un ministre ait suffisamment de fermeté et de volonté politique pour réaffirmer et éclaircir la règle de laïcité à l'école publique en rappelant quelques interdits élémentaires, et l'affaire en serait restée au niveau réglementaire, qui était effectivement proportionné.
On connaît la suite : au prétexte qu'il s'agissait, justement, d'une question "culturelle et sociale" qu'il ne fallait pas "stigmatiser", le ministre de l'époque (il s'agissait de Lionel Jospin) a botté en touche, s'est incliné, soutenu notamment et notoirement par Danièle Mitterrand... et les choses ont pris une grande ampleur (y compris numériquement), l'affaire est devenue ce qu'elle est réellement, une question véritablement politique dont l'enjeu est la mainmise communautaire sur une portion de la population considérée comme "chasse gardée". Le signe alors envoyé aux "fascislamistes" était clair "allez-y, vous pouvez voiler vos filles et vos femmes, on vous soutiendra, elles n'auront plus aucun lieu pour vous échapper". Il a fallu 15 ans et une lutte constante des professeurs pour résoudre une question qui à son origine relevait d'une simple circulaire... accompagnée d'une volonté politique.
Donc effectivement, je regrette comme vous qu'on doive recourir à la loi. Mais je le regrette ici pour des raisons qui me semblent différentes de celles que vous avancez : je regrette l'absence de volonté politique qui a conduit à cet état de choses, et je regrette aussi généralement l'émiettement de la notion même de loi.
Je pense que la question du voile intégral n'est pas anecdotique, qu'elle n'est pas réductible à une question socioculturelle - on sait que ces voiles sont arborés de manière parfaitement réfléchie, de manière militante, qu'ils sont revendiqués hautement comme des étendards et en grande partie par des converties et donc cela ne relève pas exclusivement de l'explication pédagogique. A mes yeux c'est bien une question politique, un test qui, de manière très intéressante et encourageante, divise explicitement les personnes de culture musulmane vivant en France - car une très grande partie d'entre elles considèrent que cette forme d'intégrisme n'est en rien représentative de l'islam et que partout où s'affiche un voile intégral, toutes les femmes sont en danger. La réponse juridique me semble au moins avoir l'avantage de la fermeté.
Sur la question des leviers de l'action politique, je pense que l'interdit n'est pas en soi et automatiquement quelque chose de vide et qu'il ne s'agit nullement d'un vide de pensée, dès lors qu'il s'articule à une réflexion sur la nécessité et le sens de la loi. Je m'en suis expliquée dans un autre article qui vous amusera peut-être (je pense au motard, bien sûr !) : La liberté comme forme, le cycliste et le censeur
Incognitototo
Non, non, nous avons absolument les mêmes regrets pour ce qui concerne l'utilisation des lois et le manque de volonté politique...
Mais mon sentiment, c'est que devant un problème qui effectivement ne peut pas rester sans réponse, nous n'envisageons pas de la même façon le mode d'intervention.
C'est à dire, à l'évidence, un "léger" désaccord sur les moyens ou réponses à apporter, mais pas du tout sur le fond, ni même sur l'analyse du phénomène.
Est-ce que les lois d'après-guerre, du Code pénal allemand portant sur la dénazification (dont l'interdiction du port des signes nazis), ont vraiment changé quelque chose ?
Pour le savoir, il faudrait, bien sûr, qu'on puisse revivre l'histoire et voir ce qui se serait passé sans ces lois... Est-ce que le NPD ferait, aujourd'hui, plus ou moins de 7,3 % des suffrages en Allemagne, s'il n'y avait pas eu ces lois ?
Et, allons encore plus loin... Est-ce que si la France avait adopté des lois identiques Le Pen ferait moins de suffrages, aujourd'hui ?
C'est une pure spéculation de ma part (ou presque), puisque je n'ai aucune base expérimentale pour en être certain, mais, je suis à peu près persuadé que, toute chose égale par ailleurs, le résultat, en Allemagne, sans ces lois, n'aurait pas été très différent de ce qu'il est aujourd'hui... Idem, pour la France, si nous avions eu ce genre de lois...
"L'attrait de l'interdit" et ce qui va souvent avec, "s'opposer à l'autorité pour exister et s'individualiser", restent et resteront, des composantes de la "nature" humaine, qu'une loi d'interdiction, qui ne s'attaque qu'au symptôme, ne fait qu'exciter et masquer...
Pour revenir à ce qui nous préoccupe, je pense qu'une loi qui interdit les masques ne fait qu'en créer d'autres invisibles, en les multipliant et en déplaçant les problèmes...
Et, si je conduis mon "raisonnement" jusqu'au bout et sans avoir évidemment le moindre début de soupçon sur le fait que vos intentions puissent être similaires, ce n'est pas très différent, pour le seul moyen utilisé, de ce qu'un Le Pen nous distille dans son idéologie en liant les problèmes à leur résolution (ce que fait d'ailleurs "très bien" notre gouvernement actuel, depuis tant d'années qui à chaque nouveau fait divers de société nous pond une loi) : un problème d'émigration, bé, c'est simple, interdisons l'émigration...
Ne vous offusquez pas, je ne suis pas en train de vous refaire les mauvais procès d'intention de je ne sais plus qui ; je ne compare et ne parle que des moyens, car eux aussi, par leur forme, transmettent un "message" et c'est uniquement ça qui me préoccupe dans cette réponse légale au masquage du visage. Et c'est à ce seul niveau, des moyens, que je pense que "vous vous trompez d'ennemi" ou plutôt de "technique de combat".
En combat, je suis, pour ma part, plus adepte de l'aïkido, plutôt que du karaté shotokan ou du judo ou même du flingue, que je réserve uniquement aux cas d'urgence... Pour les lois c'est pareil, il me semble qu'attaquer le phénomène de la burqa par le biais, des dispositifs que je vous soumettais, non seulement serait bien plus à même de résoudre le fond des problèmes, mais, qu'ils transmettraient en plus un message positif à toute la société, pas exclusivement (et sous forme négative) aux islamistes réactionnaires (car, vous avez beau justifier cette loi au titre du déni d'identification, pour éviter d'autres écueils conceptuels, ça ne trompera personne sur la cible réellement visée).
Sans éviter le problème et en le traitant indirectement, ce que je propose est une façon assez simple, d'empêcher ces fachos sectaires de développer des stratégies de martyr et d'en faire des "héros" distingués du reste de la population (une loi pour eux tous seuls, pensez donc, comme, tout à coup, leur statut devient important, même aux yeux de ceux qui ne les auraient même pas envisagés avant). Quels que puissent être les termes qui la justifieront, cette loi d'interdiction est contreproductive au moins pour deux raisons paradoxales : elle leur donnera une identité et elle fait d'eux des martyrs ; qui, comme on le sait, sont deux moteurs qui alimentent à flot continu tous les groupes terroristes de part le monde...
Si ce n'est déjà fait, je vous invite à vous plonger ou replonger, dans les concepts de l'analyse systémique. En termes d'outils, pour comprendre "où taper", ainsi que de moyens et de stratégies, pour dénouer les problèmes ; c'est pour l'instant, ce que j'ai trouvé de plus efficace.
Catherine Kintzler
Merci pour ces précisions. Je suis en accord avec ce que vous dites, et qui ne me semble pas contradictoire avec la mise en place d'interdits au sens de l'extériorité. Je suis très attachée à l'extériorité de la loi, comme vous avez pu le voir avec l'article sur les libertés formelles.
La question demeure de savoir si ce qu'on vise, avec un interdit ou autrement, est une forme d'intériorisation (dans le cas qui nous occupe ici, il s'agirait plutôt d'une éradication).
Vous le remarquez fort justement : l'interdit rend séduisant ce qu'il interdit. Et là encore je suis entièrement d'accord, et j'ajoute que c'est une des propriétés qui relient l'interdit à la liberté. L'interdit est structuré par et comme la liberté. Car on touche là une différence fondamentale entre "rendre impossible" et "interdire".
L'interdit suppose sa propre transgression, c'est le contraire d'une normalisation : il dit la liberté de chaque sujet à qui il s'adresse. Ce n'est pas la même chose de mettre un bouchon sur une prise de courant et de dire à un enfant "ne mets pas tes doigts là-dedans" ! Dans le premier cas, on le traite comme une chose ou comme un mécanisme, dans le second on le traite comme un être libre. Ce n'est pas la même chose d'interdire ceci ou cela, et de dire que ceux qui font ceci ou cela sont malades et qu'il faut les soigner (ou les éduquer, ou les rééduquer). Ce n'est pas la même chose de mettre une barrière empêchant la circulation et de mettre un panneau de sens interdit. Alors bien sûr quand il s'agit d'une question de sécurité absolue, on peut comprendre le recours à la mise en place de dispositifs rendant une action ou un comportement impossible exemple : les ralentisseurs posés sur la chaussée m'obligent à respecter la limitation de vitesse, mais le ralentisseur me traite comme une bête, alors que le panneau de limitation de vitesse me traite comme un être libre. Alors oui, je pense que les "emburquannées" ont droit à l'interdit ! Comme elles le disent si bien (mais elles ne croient pas si bien dire) c'est une question d'honneur !
Incognitototo
Ha, vous me faites vaciller, j'aime ça... Je ne peux qu'adhérer aux différences que vous faites dans la façon dont on "donne" sa liberté à l'être, ou pas, à travers l'interdit et la façon dont il est posé. 100 fois d'accord ! Cette dialectique, de prime abord paradoxale, est tellement fondamentale que je vous remercie de me la rappeler et de l'illustrer avec des exemples tout à fait parlants. Seriez-vous en train de me dire que l'interdit pour les "emburquannées" va paradoxalement les confronter à leur liberté ? Oui, ça se tient et ça se justifie en soi.
Là, où, à mon avis, ça se complique et que cette position de base devient difficilement applicable en l'état, c'est que nous ne sommes pas face un problème d'interdit "simple" (interdire de mettre les doigts dans la prise ou autres interdits structurants qui permettent de devenir libres), ni même face à un choix technique qui permettrait de "bêtifier" l'individu en se passant de loi (mettre un cache à cette foutue prise, parce que j'en ai marre de devoir régulièrement réanimer mon môme, juste parce qu'il est dans une phase d'opposition ;o))... Nous sommes face un "délire socialisé" (de désocialisation d'ailleurs, et qui comportent bien d'autres paradoxes, notamment par rapport à l'individuation), soutenu par des pseudo-théories religieuses où sont à peine dissimulés les vrais buts politiques, fascistes, expansionnistes et rétrogrades (3 pléonasmes ?).
Nous allons donc opposer à une doctrine de l'interdit (qui érige en loi personnelle tout ce qui peut se penser et se faire de plus réactionnaire et "d'auto-privateur" de liberté et d'individuation), un autre interdit qui, sur la forme, peut se résumer ainsi : "l'État, et à travers lui la majorité des citoyens, vous interdit de vous interdire de montrer votre visage !" ; je tourne exprès l'injonction ainsi, parce que, dans leur "délire", c'est ainsi qu'elle va être reçue et pas du tout sous la forme : "L'État vous interdit de vous masquer le visage" ; ça ne les effleurera même pas que le "message" puisse être ce dernier, ils en resteront définitivement au précédent. Surmoi contre surmoi, la bataille des titans va ("enfin !", diront ceux qui tirent les ficelles) pouvoir commencer...
Vous connaissez la puissance des "injonctions paradoxales", c'est même à cause d'elles que les analystes systémistes pensent que les individus deviennent fous et également avec elles qu'on crée des états forcés d'hypnose. Je pense que nous tombons dans ce cas avec un interdit portant sur l'interdit que ces gens s'imposent "eux-mêmes" (c'est vraiment entre guillemets exprès, car nous savons bien qu'au fond, il n'en est rien).
L'expérience que vous rapportez vous-même à propos de la façon dont l'hidjab a été géré dans les écoles, en est une malheureuse illustration ; où comment un problème, qui pouvait se traiter "tranquillement", est devenu par le "laxisme" des uns, puis par l'interdit qui a été posé (en 2004 et en désespoir de cause), un poison sociétal qui perdure encore aujourd'hui... Rappelez-vous qu'il y a même eu une prise d'otage en Irak pour faire annuler cette loi et que si cette loi est à peu près (vraiment à peu près) respectée à l'école, mon sentiment (qui serait à confirmer par une étude), c'est qu'on n'en a jamais vu autant dans les rues depuis, et que les problèmes se sont multipliés dans tous les secteurs de la société (entreprises, administrations, hôpitaux, etc.)...
Là encore, sans en faire une généralité, je vous soumets une question, qu'est-ce qui s'est passé dans la tête de quelqu'un comme Diam's qui soutenait encore il n'y a pas longtemps "Ni putes, ni soumises" et combattait Le Pen sur tous les fronts, pour qu'elle en arrive à porter le voile islamique ? C'est quoi ce besoin "d'identité" et de reconnaissance, qui s'affirme aujourd'hui en s'opposant à des valeurs qu'elle a longtemps portées ? Est-ce que tous les messages que l'État a renvoyés là-dessus (sans oublier, le foin médiatique fait autour), n'ont pas paradoxalement, non seulement autorisé cette "liberté", mais en plus donné une valeur identitaire "supérieure" à cette "expression de soi" et incité à en abuser ?
Dans les mécanismes psychiques qui m'agissaient, je ne crois pas que j'étais très différent quand je portais les cheveux longs et que je m'habillais en baba cool (arborant ostensiblement les signes d'anarchie et de paix), cela procédait du même type de "transgression" et de "résistance" fantasmatiques (permises à l'école à l'époque)... Mais, on m'a laissé faire et je n'ai jamais reçu d'amende pour ça, heureusement, sinon j'en aurai peut-être fait un point d'honneur (comme vous dites) à continuer et même à en faire plus... La vie s'est chargée de me montrer à quel point j'étais dans un système d'illusions, ça a largement suffi pour que je ne reste pas attaché à ce folklore comme une sangsue...
Bref, même si je comprends mieux votre point de vue sur la loi confrontant à la liberté, je continue à penser que dans notre cas de figure spécifique, une loi "sèche" serait pire que tout. Je préfèrerais attaquer le problème sous les aspects :
- renforcement des lois réprimant l'oppression, la domination, l'inégalité, les violences psychiques et tous les actes qui conduisent les personnes à des états de dépendance, de décervelage et de perte de liberté ou d'autonomie,
- clarification du statut des sectes qui permettrait, entre autres, de dissoudre certaines associations, de mettre hors d'état de nuire et pourquoi pas de renvoyer dans leur pays certains leaders étrangers. Idem pour tous les groupes qu'ils soient religieux ou politiques qui prôneraient la substitution à notre République des systèmes idéologiques qui ne respecteraient pas notre Constitution, (nous avons là, réellement, le devoir de défendre les lois qui nous permettent de vivre ensemble avec notre diversité ; aussi, toutes les idéologies prônant une "uniformisation" doivent être déclarées illégales, même si elles se réclament de cette diversité pour exister)
- liberté de refuser des tenues non conformes au règlement intérieur des entreprises et autres institutions,
- et, non accessoirement, élargir le rôle des institutions, qui accueillent les femmes victimes de violences (physiques et psychiques), à détecter et à aider les femmes prises dans des carcans idéologiques. Il y aurait sûrement également quelque chose à réfléchir pour les hommes par ailleurs...
Ou pour résumer grossièrement, une technique de combat qui privilégie une stratégie du Moi contre le Surmoi, mettant ce dernier en situation de montrer son vrai visage réactionnaire, pour l'enfoncer dans ses contradictions, et l'attaquant sur le terrain des valeurs que notre Constitution sous-tend ; pas celle d'un combat entre Surmoi qui n'aurait pour effet que de renforcer celui qui est déclaré illégal.
Au-delà de notre discussion, que pour ma part, je trouve très instructive, j'ai une interrogation qui ne me quitte pas depuis un certain moment : je me demande pourquoi des citoyens qui poursuivent les mêmes objectifs et qui partagent de nombreuses valeurs, ou pour le moins les plus fondamentales, n'arrivent pas à se mettre d'accord sur les moyens à appliquer.
Je n'arrive pas à comprendre "où ça coince". Nous devrions pouvoir "épuiser" les argumentaires, mais en fait ça n'arrive pas... et ça n'est pas qu'un problème d'égo qui s'affronterait à travers leur rhétorique respective. Je suis sensible à vos arguments et il me semble que vous aussi aux miens, alors pourquoi n'arrivons-nous pas à nous persuader ? Si vous avez des idées, je suis preneur.
Catherine Kintzler
Je ne suis pas sûre qu'on puisse faire entrer l'interdit de la cagoule intégrale dans la catégorie d'un "double-bind" - il s'applique à toute cagoule, à tout masque. Je ne crois pas trop m'avancer en disant qu'aucun motard ne deviendra fou à l'idée qu'il est obligé d'enlever son casque intégral lorsqu'il redevient piéton... Et à supposer qu'il ne concerne que le port du voile intégral (ce qui serait, je l'ai déjà dit, discriminatoire), je pense qu'il y a un paralogisme à le réduire à la structure d'un "double-bind" : ce n'est pas parce que le verbe interdire se trouve des deux côtés de la proposition que vous formulez qu'on a affaire à une double contrainte paradoxale génératrice de délire. Car à ce compte, l'article 5 de la Déclaration des droits "Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n'ordonne pas" implique qu'on interdise bien des interdits. Et qu'une loi puisse être interprétée par ceux qui sont visés par elle de façon délirante, cela se voit tous les jours sans qu'on puisse en conclure qu'on est en présence d'une double contrainte paradoxale qui rend fou.
Sur la loi de 2004, les choses sont différentes : il s'agit d'un interdit relatif au principe de laïcité, qui ne s'applique que dans les espaces, pour les fonctions et dans les situations qui participent de l'autorité publique. Qu'il y ait ou non multiplication des voiles ailleurs (je parle ici du voile non intégral) ne concerne pas le principe de laïcité : l'aveuglement est ici de rigueur. En tout état de cause, la multiplication des voiles à l'école publique est attestée entre 1989 et 2004. Ce qui compte ici à mon avis c'est que les jeunes filles soumises au port du voile (que ce port soit ou non libre) aient droit à une double vie. La double vie, c'est en principe ce que devrait offrir une école digne de ce nom à tous les élèves, quelle que soit leur origine.
Vous comparez votre rapport à l'accoutrement "baba cool" de naguère à celui que pourrait avoir une femme adepte du voile intégral à ce voile. Il me semble - sans jeu de mots - que vous vous noircissez. Car, même si le mécanisme de résistance fantasmatique ne doit pas être exclu (mécanisme qui est reconnu par l'interdit alors qu'il fait l'objet d'une dénégation réductrice dans le dispositif exclusivement "éducatif" ou persuasif), je soulignerai seulement que l'accoutrement "baba cool" n'est en rien une déclaration de segmentation de l'humanité et qu'il ne met pas autrui à une distance infinie - aussi aucun État de droit n'a pensé à l'interdire ! Prenons un exemple aux antipodes : la fascination pour les insignes nazis existe ; leur port est interdit et personne ne fait d'état d'âme - et tant mieux - sur le mécanisme de résistance fantasmatique qui l'accompagne. Leur interdiction (après avoir été débattue, critiquée, amendée avant d'être votée, une fois proclamée la loi tranche : elle s'applique, processus fini) a une fonction disjointe de leur condamnation philosophique et morale (on explique, on persuade, processus sans fin) et je crois qu'il faut maintenir les deux. Je comparerais plus volontiers le port du voile intégral à celui d'une cagoule kkk : déclaration explicite de segmentation de l'humanité - à ces différences près que le voile intégral est permanent et que, de plus, il est homomorphe à ce qu'il déclare.
Je ne peux qu'être d'accord avec la série de mesures que vous énumérez. Elles ne sont pas incompatibles avec l'interdit dont nous parlons. Je reviens encore une fois sur la question de l'interdit comme forme et comme extériorité : l'interdit contient et comprend (à tous les sens de ces termes) le mécanisme de résistance fantasmatique, il le connaît, le reconnaît et en traçant une limite qui n'est pas infranchissable, il n'organise pas la confusion entre impossible et interdit. Alors que les dispositifs apparemment "soft" d'éducation, de persuasion - lorsqu'ils sont exclusifs et qu'ils prétendent abolir l'interdit ou s'en passer au prétexte qu'ils sont supérieurs à l'interdit -, s'adressent à l'intériorité qu'ils prétendent modeler : ils ne contiennent pas la résistance fantasmatique, ils en organisent la forclusion par dénégation. Autant qu'un "double-bind", la forclusion rend fou, c'est une cocotte à pression qui menace à tout instant d'exploser. Du reste le "double-bind" me semble être une forme de forclusion.
Oui nous sommes d'accord sur les objectifs. Pas sur les moyens ? Je dirai plutôt que nous ne pensons pas le concept de loi de la même manière. Je reste très "vieux jeu" sur ces questions de forme et de fonction de la loi ! Et puis, une discussion de grande qualité (dont je vous remercie) n'implique pas que l'on soit d'accord sur tout. La mise en place et la respiration d'un espace critique valent largement bien des harmonies.
Post-scriptum. Sur un tout autre objet, j'ai rencontré la question du "double-bind" en faisant la recension d'un livre de Nathalie Heinich sur l'art contemporain - au sujet de l'impératif d'originalité et de transgression qu'elle analyse d'une manière qui me semble très convaincante. Voir la fin de l'article Art, transgression, permissivité.
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