Première date de publication : 18/02/2011
Date de la dernière mise à jour : 18/02/2011
Je vous parle souvent sur ce blog de l’analyse systémique, comme d’un outil conceptuel permettant de mieux comprendre les lois et forces en présence par rapport à un problème donné, mais également de savoir comment trouver des solutions efficaces.
Je voudrais vous illustrer ces propos avec deux exemples concrets :
- l’un global, à propos de la mondialisation,
- l’autre factuel, à propos du débat sur la décroissance.
Il faut faire une mise au point tout de suite : réfléchir en fonction d’un cadre systémique suppose d’abandonner préalablement toute notion de bien et de mal, du moins au niveau de l’analyse, car aborder les problèmes de ce point de vue, c’est déjà rentrer dans un cadre qui empêchera de remonter aux sources des problèmes.
L’analyse systémique ne se demande pas si c’est bien ou mal, elle se demande quelles sont les lois qui aboutissent à un résultat donné et comment ces lois rétroagissent sur le système pour le perpétuer indéfiniment. Elle réfléchit en fonction des effets, des rétro-effets et des objectifs, en analysant d’abord ce qui se passe dans la « boîte noire ».
Tant que ces lois (ou mécanismes) ne sont pas identifiées, démasquées et dites, il est illusoire de penser qu’on va pouvoir modifier le système au bon endroit pour qu’il produise un résultat différent. Dans sa façon de réfléchir aux problèmes, elle adopte le fonctionnalisme pour le décryptage des résultats, puis le mode itératif que l’on peut appliquer à la résolution des inéquations d’une programmation linéaire ; et seules les capacités humaines à englober tous les paramètres d’un système complexe fixe les limites à sa puissance d’intervention ; cependant, que l’informatique semble de plus en plus pouvoir nous affranchir de ces limites dans les domaines des sciences…
La branche psychosociologique de l'analyse systémique s’est principalement intéressée à l’action des paradoxes structurels sur le comportement des individus et des groupes sociaux. L’Ecole de Palo Alto et Watzlawick en sont les principaux créateurs.
Selon cette école ce sont les paradoxes insolubles de double contrainte qui produisent les "maladies" aussi bien au niveau des individus que des institutions.
Les fondements de cette école de penser et d'action peuvent se résumer de la façon suivante :
- Outre leur capacité d'adaptation et de transformation (la "morphogénie"), les "systèmes" génèrent une maladie qui s’appelle "l’homéostasie" ; où les buts qu’ils poursuivent sont supplantés par la survie de la structure elle-même, et la perpétuation des lois, généralement non dites, qui la constituent (exemple : le courant de l’antipsychiatrie a très bien démontré comment l’institution n’avait aucun intérêt à guérir ses « malades »).
- Les "maladies" se cristallisent à partir des nœuds paradoxaux ("paradoxe" et son adjectif "paradoxal", au sens systémique du terme : qualifie un système qui, en situation de doubles contraintes, produit des réponses automatiques et inadaptées au contexte).
- Il faut identifier les nœuds paradoxaux pour espérer "traiter" et faire évoluer le système, donc avant tout discerner les lois qui régissent le système et qui se perpétueront même en cas de changement de forme.
- Toute action qui s'attaque directement aux nœuds paradoxaux est vouée à l'échec, car le système développe une réponse de résistance proportionnelle à l'attaque elle-même, et c'est logique puisqu'il se sent atteint dans ce qui fonde sa survie la plus primaire. De même, il est illusoire d'espérer qu'un système englué dans ses paradoxes arrive à se réformer lui-même, car il faudrait qu'il puisse admettre qu'il doit remettre en cause sa survie, ce qui est impossible.
- Les meilleures chances de changement sont celles qui, au lieu d'essayer de répondre aux paradoxes qui sont par nature insolubles, déplacent les réponses à des endroits où le système homéostatique n'aura plus de prise ; ou comme dirait A. Einstein : "On ne règle pas un problème en utilisant le système de pensée qui l'a engendré."
Passons aux exercices pratiques…
À propos de la mondialisation
Je lis, probablement comme vous, énormément d’analyses sur les raisons qui expliqueraient la crise, le déclin occidental avec cette « logique libérale » que rien ne semble pouvoir arrêter. Mais je n’en ai jamais lu qui m’ait vraiment convaincu, c'est-à-dire qui me dise à partir de quel moment et pourquoi, nous avons basculé et le monde entier avec nous.
Qu’est-ce qui a fait sauter toutes les sécurités qui ont permis à l’Europe de se reconstruire après la guerre, de donner du travail à tout le monde et de partager les richesses produites de façon un peu plus équitablement qu’aujourd’hui ?
Je vous passe toutes les explications soumises à itérations, que j’ai explorées qui ne me satisfont pas.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’en suis arrivé à la conclusion qu’un seul fait a tout changé. Le vrai tournant politique est avant tout un changement de paradigme économique : quand les Américains ont décidé de supprimer la convertibilité or/dollar (15 août 1971) et de confier aux marchés la fixation des valeurs monétaires par l'offre et la demande, la terre entière a basculé dans une réaction en chaîne, qui ne s’est pas arrêtée depuis, d’où découlent toutes les logiques libérales que nous subissons, sans discontinuité et sans arriver à trouver la sortie...
On connait tous, sous la présidence Nixon, cette fameuse répartie du Secrétaire au Trésor américain, John Connally face aux préoccupations européennes de surévaluation du dollar : "le dollar est notre devise, mais c’est votre problème"...
Force est de constater qu'au lieu de répondre à cette cynique déclaration de guerre, nous n'avons fait que nous "adapter" et courir derrière "le nouvel ordre économique" que nous imposaient les Américains, pour pouvoir continuer à financer leurs guerres, leur conquête spatiale et consommer toujours plus à crédit ; et il n’y a pas d’autres raisons à cette décision unilatérale des Américains. Sauf à ponctionner et entraver leur développement économique, ils étaient acculés budgétairement, aussi ils ont « tout simplement » profité de la place que tenait déjà le dollar, comme monnaie de réserve des banques centrales et d’échanges internationaux, pour mettre sans concertation le monde entier devant le fait accompli. Le plus ubuesque de cette affaire, c’est qu’officiellement les Américains ont pris cette décision parce que les Allemands réclamaient la conversion de leurs dollars excédentaires en or… ces effrontés réclamaient juste que les Américains respectent leur part des accords de Bretton Woods, incroyable non ?
Désormais ce sont les marchés par l’offre et la demande qui décideraient de la valeur des monnaies et les USA pouvaient continuer à faire fonctionner la planche à billets sans avoir plus aucun compte à rendre à personne … L’effroi (dont nous ne sommes, à mon avis, pas encore remis) qui a saisi les pays occidentaux à cette époque est à la mesure du piège qui s’est refermé sur nous tous ; puisque le dollar supprimait sa convertibilité or, les accords de Bretton Woods devenaient de fait caducs. En 1973 fut adoptés officiellement le système des changes flottants et en 1976 toute référence à la convertibilité or des monnaies est totalement abandonnée dans les accords de la Jamaïque.
Face à cette décision unilatérale des USA, soit les banques centrales se défaisaient de leurs réserves et faisaient plonger le dollar et leur propre monnaie avec, soit elles continuaient à réguler la valeur du dollar à la place des États-Unis, en absorbant les excédents monétaires de ces derniers. Première contrainte paradoxale, dans les deux cas les gouvernements à travers les banques centrales, savaient qu’ils perdraient, mais comme ils craignaient plus que tout, une spirale déflationniste et récessive, c’est la deuxième solution qui a été adoptée, contrainte et forcée… et l’inflation des Américains s’est, en conséquence, exportée en Europe (plus en France qu’en Allemagne, à cause de nos stupides dévaluations « compétitives »), avec tous les cycles infernaux qui en découlent…
Il n’y avait aucun risque pour les États-Unis à jouer cette carte, même en cas de rebuffade de l’Europe, dans tous les cas ils auraient été gagnants. Mais en tout état de cause, ils savaient que les pays européens n’avaient pas le choix, d’autant plus qu’ils étaient encore à l’époque le rempart militaire de l’Europe face à l’ex-URSS. Dans la foulée, pour permettre que cette fuite en avant monétaire puisse se perpétuer telle une vente pyramidale, il devenait indispensable que le système s’étende au monde entier en créant de « nouveaux clients » du dollar, en conséquence la libre-circulation des capitaux et le libre-échange des marchandises sont devenus le nouveau credo politique des États-Unis, tandis que la cavalerie devenait le nouveau système de valorisation monétaire… et progressivement de l’Europe également, qui espérait, probablement ainsi, déplacer « leur » problème ailleurs. .
Seulement au final, tout le monde (y inclus les Américains aujourd’hui avec leurs 17 % de chômeurs), est « bloqué » par ce nouveau système et se retrouve face au problème paradoxal, à multiples contraintes antagonistes, que pose cette nouvelle donne… ou plus personne n’ose même évoquer ce tabou de l’économie mondiale qu’est la place et la valeur du dollar dans notre système d’échange, avec une planche à billets américaine (sous forme de monnaie ou de bons du Trésor) qui fonctionne en continu pour financer les déficits et la consommation américaine. En 2006, quand la Fed a décidé, encore unilatéralement (sans aucune protestation des États à nouveau soumis aux diktats US), qu’elle ne publierait plus les agrégats monétaires M3 (et en conséquence M4 non plus), il est devenu évident que la « fin » devenait proche… et nous n’avons pas eu longtemps à attendre avant que la crise systémique financière se déclenche… Je voudrais bien vous rassurer en faisant de l’autopersuasion et vous dire (comme notre gouvernement) que la crise est finie, mais il n’en est rien ; elle ne fait que commencer, car aucune des lois qui l’ont provoquée n’a été modifiée.
Les Chinois qui thésaurisent leurs excédents monétaires ont très bien compris comment tirer parti de cette situation bloquée, où le premier qui bouge a perdu. Ils rachètent (avec cette monnaie qui ne vaut mathématiquement plus rien depuis longtemps) à tour de bras toutes les valeurs qui leur permettent de s’approprier les technologies, les ressources énergétiques et de matières premières, sans oublier la « reconnaissance » des États quand ils les aident à restructurer leurs dettes publiques. Un vrai jeu de go mondial où nous serons forcément perdants ; avec une seule question, quand les Chinois se sentiront-ils suffisamment en position de force pour dire ce qu’ils exigent ? En commençant, peut-être, par le retour de Taïwan dans leur « république »…
Ce n’est pas de la science-fiction politique que de poser ce genre de questions., car dans l’indifférence générale la Chine a annexé début 2011, 1% des terres du Tadjikistan ; et qui pourrait l’empêcher de continuer ? Elle est déjà actuellement, seul maître à bord de son jeu monétaire ; elle a, en conséquence, déjà envoyé paitre plusieurs fois les Américains qui lui demandaient de réévaluer le Yuan. Productrice de 97 % des terres rares (indispensables à toutes nos technologies), elle vient également de décider unilatéralement qu’elle en réduisait ses exportations de 35 %, provoquant l’affolement général des marchés… et des politiques…. L’étau se resserre autour de nos parties génitales et je ne cesse de me demander qu’est-ce que nous attendons avant d’agir pour y faire face, et prendre les mesures qui nous permettraient de nous réapproprier nos centres de décision.
Ce qu’il faut comprendre dans ces rappels historiques, c’est qu’à partir de 1971 toutes les politiques européennes n'ont fait que s'ajuster au chantage permanent qu'a exercé, et exerce toujours, les États-Unis, de laisser s'effondrer la valeur du dollar, et non accessoirement, de retirer leur protection militaire. Mais, nous n'avons jamais réussi à reprendre la main (même en accélérant la construction de cette Europe, usine à gaz, et en en créant l’Euro) et tout le reste en découle, y inclus nos « politiques libérales » avec l'abandon de nos services publics, sans oublier les concentrations financières et la financiarisation qui ne sont que des adaptations structurelles à ces nouvelles donnes...
1971 est l'année traumatique qui a fait basculer le monde entier (pas, tel que j’ai pu le lire ici ou là, le choc pétrolier qui en ait une conséquence). Les renoncements du PS confronté à cette donne mondiale, dès 1981, sont à la mesure des contraintes internationales qui ne sont jamais rappelées dans les explications politiques données ; cependant, que les réponses face à ces dépendances procèdent d'une realpolitik mal digérée et sans vision du long terme.
On pourrait imaginer et croire à un complot du capitalisme, des banquiers, des Illuminati, des Bilderberg (nouveau groupe à la mode pressenti pour remplacer le judéo-maçonnique, qui n’est plus politiquement correct), ... et pourquoi pas des scientologues ou de ma boulangère pendant qu’on y est... Mais non, aucun complot, ni volonté concertée là-dedans ; juste des dirigeants, responsables de groupes sociaux, qui prennent des décisions en fonction des contraintes qu’ils subissent, sans imaginer les conséquences à moyen et long terme des choix qui s’imposent à eux, quand ils relient mécaniquement les causes aux solutions. Il n’y a plus d’or pour respecter les accords sans être mis en faillite, hé bien on supprime la convertibilité or, sans mesurer qu’en aucune manière, cela ne règle les problèmes systémiques qui ont conduit à cette situation. Et pour nous européens, juste le résultat de la bêtise humaine et du manque de volonté politique (qu’on pourrait également appeler lâcheté), face à des menaces en tenaille, entre les USA et l'ex-URSS, remplacée maintenant par la Chine pour d'autres raisons ; un trivial rapport de force que nous n’avons jamais pu rééquilibrer depuis la guerre.
En fait, nos décideurs sont totalement dépassés par la boite de pandore qu'ils ont ouverte et ils ne savent plus comment faire machine arrière et/ou modifier l'histoire. Ils se croient même obligés de défendre des valeurs auxquelles, ils ne croient pas eux-mêmes, tant le chien du pistolet que les Américains tiennent derrière notre nuque est toujours armé ; avec pour conséquence un vrai Syndrome de Stockholm généralisé à l’économie mondiale. D’ailleurs à part quelques isolés, plus personne ne tient en France (et même en Europe) de discours anti-américain ou pour le moins rappelant le chantage monétaire permanent auquel ils nous soumettent, c’est devenu tout simplement tabou. Depuis les analyses du PCF dans les années 70 sur ce sujet, plus personne n’a jamais osé reprendre ces thèses.
Cette soumission à un système qui nous dépouille de notre indépendance, explique le déplacement des centres de décision sur des entités supranationales, généralement économiques, ainsi que bien d’autres faits qui nous paraissent insurmontables. Peu de gens le comprennent vraiment et en tirent les conséquences qui devraient aller avec ; et nos parodies de démocratie sont à la mesure de ce basculement systémique, où les politiques voudraient nous faire croire qu'ils peuvent encore, alors que leurs marges de manœuvre sont extrêmement réduites. Ces derniers ont, cependant, une réelle responsabilité, parce qu’ils continuent à réfléchir aux problèmes avec les outils conceptuels des années 70, sans avoir intégré les changements de monde que nous avons subis. Ou peut-être que les ayant trop bien intégrés, ils en ont conclu qu’on ne peut rien faire…. et alors, on est en droit de se demander ce qu’ils font encore là, à s’accrocher à leur mandat comme des sangsues…
Pourtant, il y a des solutions, tel que j’essaye de vous le démontrer tout au long de ce blog, mais dans l’état de blocage homéostatique de notre classe politique, il semble que si un espoir de modifier le système global peut naître, il viendra des pays émergents qui ne sont pas aussi impliqués que nous dans des dépendances paradoxales. Le Brésil vient d’élever la voix, pour rappeler que les USA et la Chine devaient cesser de manipuler leurs taux de change et il compte porter le problème devant l’OMC. Ce pays a déjà obtenu en 2009 (après une bataille de 7 ans), des sanctions financières contre les USA, qui sont les champions du non-respect des règles qu’ils ont eux-mêmes édictées.
Les Européens seraient bien inspirés de soutenir cette démarche. Nous allons, d’ailleurs, pouvoir constater à cette occasion, si nos dirigeants politiques ont totalement renoncé à modifier les règles mortifères imposées par les Américains ; d’autant que comme on peut le constater tous les jours depuis 40 ans, les marchés ne régulent pas du tout le système tel qu’ils sont supposés le faire et tel que les théories orthodoxes libérales s’obstinent à le croire, sinon le dollar ne devrait même plus servir de monnaie d’échange. Les solutions proposées par le FMI paraissent bien dérisoires, elles se demandent comment prolonger ce système pervers agonisant, au lieu de promouvoir un nouveau changement de paradigme qui extrairait les monnaies du système marchand global.
C’est ce que ne veulent pas comprendre les thuriféraires d’un retour au Franc, tant que le système global reste ce qu’il est aujourd’hui et compte tenu des rapports de force, non seulement ça ne sert à rien, mais en plus, ça ne pourrait être que pire, d’aller seul à la bataille.
En 2006, à propos des présidentielles, j’écrivais entre autres et en substance : un programme politique est un mensonge en soi, s'il ne nous dit pas comment :
- il va aller à la bagarre européenne et internationale, pour se donner les marges de manœuvre économiques, dont il a besoin pour s'appliquer,
- il se propose de réformer en profondeur et/ou contrer les lois internationales, dont nous dépendons,
- il va agir pour se ré-approprier les centres de décision qui nous échappent actuellement, notamment en réformant en profondeur notre système démocratique...
Un programme qui ne vous promet que le meilleur, sans vous dire que vous aurez des sacrifices et des choix à faire, pour relocaliser notre économie et retrouver notre indépendance, est tout autant un leurre.
Je n’ai rien à retirer à cela.
À propos du débat sur la décroissance
Je vais essayer de faire plus court pour cette partie là d’autant que j’ai déjà exprimé dans cet article, C - 9 - Nicolas Hulot : l'équation économique insoluble et insolvable... , ce que je pense qu’il y a de totalement irréaliste et irréalisable dans les propositions des écolos.
Il n’en reste pas moins vrai que je partage totalement leurs préoccupations. La terre a des ressources finies et nous ne pouvons pas continuer à la saccager sans en subir des conséquences désastreuses pour tous.
C’est en visionnant une émission d’Arte ("Prêt à jeter") sur l’obsolescence programmée que j’ai compris, plus profondément, en quoi les cycles industriels, l’innovation et l’économie de croissance s’opposaient apparemment aux objectifs écologistes.
Nous sommes dans un système à multiples contraintes :
- les investissements industriels demandent des temps d’amortissements longs (généralement autour de 15 à 20 ans, bien que nos financiers actuels demandent des retours sur investissements de plus en plus rapides),
- les marchés de consommateurs, qui amortissent ces investissements, doivent donc être conséquents pour justifier les mises de départ…. Et immédiatement, en imaginant que nous soyons en capacité de créer des biens à durée de vie longue (ce qui est vrai pour beaucoup de produits), se posent 3 problèmes :
- celui de la pérennité de l’entreprise après que le marché ait été satisfait,
- celui du devenir et du « recyclage » des salariés, une fois les besoins satisfaits, mais également celui de la disparition de la dynamique redistributive des revenus,
- celui d’une inadaptation des produits aux innovations technologiques et aux changements de goûts et/ou de besoins des consommateurs… On comprend bien que si on achetait un véhicule, un réfrigérateur ou un ordinateur pour la vie, on vivrait encore comme dans les années 60… et on polluerait encore plus…
Face à ces contraintes, et non accessoirement bien évidemment pour préserver et pérenniser leurs profits, les industriels ont inventé l’obsolescence programmée des produits. Plusieurs exemples sont donnés dans le documentaire d’Arte (ampoule, informatique, véhicules, et cetera) et le cynisme des industriels, qui ont mis en place des cartels et des ententes pour contrôler leurs marchés, fait froid dans le dos… mais, ils ne font, comme tous, que lutter pour leur survie et leurs profits. Et si nous pouvons objectivement juger que cette manipulation des marchés est en-soi détestable et répréhensible, nous ne pouvons pas enlever aux industriels d’avoir également permis ainsi, le confort matériel que nous vivons aujourd’hui, mais également les progrès technologiques et parfois scientifiques, qui nous permettent, par exemple, de détecter un cancer avant qu’il ne soit mortel…
Face à cela la proposition écologiste de transformer les industriels en fournisseurs de services (par exemple : on louerait les véhicules au lieu de les acheter) parait bien dérisoire pour les forcer à créer des biens durables ; en tout état de cause, elle annihile de nombreux autres objectifs, notamment celui de l’innovation ou de l’évolution des besoins. De même, la logique de la décroissance est totalement illusoire, à moins qu’on puisse apprendre à la population à vivre avec un SMIC et à avoir beaucoup de temps libre ; ce qui ne me semble pas réalisable pour demain…
L’échange qui a suivi le documentaire m’a donné une partie des solutions… Où créer les contraintes ou nouvelles lois qui permettraient d’atteindre les objectifs écologistes en préservant le développement ?
C’est assez simple, plusieurs directions se profilent :
- obliger les industriels à créer des objets et produits 100 % recyclables, que ce soit par la réutilisation des matériaux ou leur intégration dans d’autres processus de production. On sait faire et si on ne sait pas faire, on peut apprendre. De plus, cette contrainte imposerait aux industriels d’utiliser moins de matières toxiques pour arriver aux 100 %. Après une probable augmentation des prix, qu’on peut rendre moins douloureuse en fixant des objectifs de recyclage par paliers, atteindre les seuils de coût marginaux ramènerait logiquement les prix à ceux d’origine.
- prévoir, les processus de recyclage et de réutilisation des produits dès leur création, et en inclure le coût dans les prix de vente, l’industriel producteur devenant également responsable de son recyclage.
- certains produits se prêtent à des évolutions modulaires (les ordinateurs par exemple). Modifier l’offre et la conception des produits, en conséquence en habituant les consommateurs à ne changer que ce qui est nécessaire.
- inclure le coût énergétique et écologique de production et de transport dans les coûts. J’ai déjà exposé cette mesure d’une taxe au kilomètre parcouru qui pourrait être complétée par une taxe supplémentaire tant que le produit n’est pas 100 % recyclable.
- généraliser une remise en fonction de l’obsolescence du produit en cas de rachat du même type de produit. Simple et très incitatif pour le consommateur qui ramènerait son produit directement au lieu de vente pour obtenir une remise sur l’achat suivant (bien évidemment en fournissant les justificatifs adéquats).
- …
Soit au total, des mesures aussi incitatives pour les industriels que pour les consommateurs qui ne génèrent aucune entrave à la poursuite du développement économique (bien au contraire) et favorisent les processus écologiques en responsabilisant tout le monde plutôt que de les matraquer par des taxes qui pénalisent, au final, toujours les mêmes. Cependant, comme à chaque fois que l’on décide ce genre de mutation, il est évident qu’il faut empêcher, notamment par un système de surtaxation, tous les produits provenant de l’étranger qui ne correspondent pas à nos normes, de trouver des débouchés chez nous.
Encore un problème de « volonté » politique, voir conclusion du développement précédent.
Pour conclure provisoirement
Je ne sais pas si j’ai réussi à vous intéresser à la logique systémique, l’une globale et l’autre factuelle, mais ce dont je suis sûr, c’est que ne pas vouloir voir les arguments et lois qui justifient certains faits, est le meilleur moyen de ne pas trouver de solutions efficaces. Par exemple, ce n’est pas en créant des embouteillages (comme à Paris) qu’on incite les citoyens à laisser leur véhicule au garage, mais en leur proposant un maillage, une fréquence et une qualité des transports collectifs qui répondent à leurs besoins. Vous me direz, ce n’est pas nécessaire de faire appel à l’analyse systémique pour comprendre cela. C’est exact, encore qu’il faudrait pouvoir expliquer et convaincre certains du pourquoi ils se trompent et là ça devient beaucoup plus compliqué, si on ne décompose pas les lois qui les agissent, souvent à leur insu… D’ailleurs, l’analyse systémique porte une autre dénomination dans la population, on l’appelle le « bon sens ».
Seulement, à cette dernière notion que personne n’arrive d’ailleurs à vraiment définir, ni qu’on ne peut apprendre, elle rajoute plusieurs choses. C’est une théorie de l’information qui stipule et démontre que si on n’arrive pas à obtenir un résultat, c’est qu’il manque des données dans la réflexion ou encore, qu’il y a asymétrie de l’information ; mais également que le système est plus attaché à répéter son système de croyances et les automatismes qui justifient sa survie, qu’à innover, au risque de disparaître… ça semble évident, mais peu de gens en tirent vraiment les enseignements et conséquences qui en découlent en termes politiques.
Il serait vraiment profitable de se pencher sur tous les non-dits politiques qui gangrènent le jugement des citoyens, et malheureusement ce n’est pas avec le niveau d’information que nous avons en France qu’on y arrivera. Et puis, il serait également intéressant de se pencher sur les forclusions psychanalytiques qu'elles recouvrent… Vaste programme qui fera peut-être un jour l’objet d’un autre article...